Vous abordez cette semaine une thématique difficile : les féminicides
Oui, chaque fin d’année vient clore un triste décompte : celui du nombre de femmes mortes, tuées par leur compagnon, ex-compagnon, membre de leur famille, ou inconnu. Et chaque début d’année signifie le commencement d’un nouveau décompte, aussi triste que dramatique.
En 2022 en France, 146 féminicides ont eu lieu, et c’est sans compter les meurtres de femmes qui ont été oubliées par ce décompte.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est et ce que signifie un féminicide ?
Le terme féminicide provient du latin fēmĭna, « femme », avec le suffixe -cide signifiant « frapper, battre, abattre, tuer, ou massacrer » en latin.
Ce mot a été énoncé publiquement pour la première fois par Diana Russell lors du Tribunal international des crimes contre les femmes à Bruxelles, en 1976. Elle reprend la définition de Carol Orlock, qui le définit comme le « meurtre de femmes commis par des hommes parce ce que sont des femmes ».
Mais ce terme revêt également une « dimension de passivité et/ou négligence des États pour prévenir et sanctionner ces crimes », selon Frédou Braun.
Quel état des lieux peut-on dresser des féminicides en Europe ?
Les chiffres sont assez disparates d’un pays à l’autre. Selon les statistiques du European Data Journalism Network de 2015, les pays dénombrant le moins de féminicides pour 100 000 femmes, sont la Slovaquie, la Slovénie, et l’Espagne, suivis du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Finlande, et de la France. À l’inverse, les pays où le nombre de féminicides est le plus important sont le Monténégro, la Lituanie, la Lettonie, puis la République Tchèque.
Mais il est très important de mentionner que tous les pays ne disposent pas des mêmes outils pour calculer le nombre de féminicides perpétrés chaque année. Par exemple, une branche du ministère de l’intérieur français établi un décompte, mais celui-ci prend uniquement en considération les meurtres qui surviennent dans la sphère conjugale. L’Allemagne se base sur les meurtres ayant lieu dans le couple et dans la sphère familiale, ce qui est déjà plus exhaustif. En Suisse, on compte les meurtres commis par les conjoints ou ex-conjoints, tandis qu’aucun décompte officiel n’existe en Belgique à l’heure actuelle.
À l’inverse, le décompte de l’Espagne est le plus précis de tous : il prend en compte depuis 2021 5 types de féminicides, ce qui démontre l’importance accordée à la protection des femmes dans le pays.
Or, compter, ça veut dire que ça compte.
Pourquoi est-ce si grave et si important de mettre en lumière cette thématique des féminicides ?
Il est inacceptable que chaque année des femmes meurt, laissant derrière elles des orphelin·es et des familles endeuillées car nous ne sommes pas en mesure de les protéger, ou car nous ne nous sommes pas donnés les moyens de le faire. Car oui, dans la plupart des cas, les femmes tuées avaient porté plainte avant d’être retrouvées mortes : elles avaient appelé à l’aide, et nous les avons laissé mourir. Ce qu’il s’est passé à Blois il y a quelques semaines n’est pas une exception, cette réalité se produit et se reproduit : une femme s’est présentée au commissariat pour porter plainte pour violence contre son ex-compagnon. On lui a dit de revenir le lendemain. 2 heures plus tard, elle était morte.
Ce qui est si insupportable avec les féminicides, c’est que nous avons une responsabilité dans le meurtre de ces femmes : elles donnent l’alerte, mais nous ne faisons pas assez pour les protéger.
Quelles mesures pourraient être mises en place pour lutter contre les féminicides ?
Nous pourrions nous inspirer du modèle espagnol, qui est très inspirant sur cette thématique des féminicides, car il prend en considération une dimension globale, systémique. Grâce à la loi de 2004, le nombre de féminicides en Espagne a été divisé par 2.
Le modèle espagnol agit dès la première alerte : il suffit d’une plainte de la victime pour que son agresseur soit doté d’un bracelet électronique ; l’homme n’a pas le droit de s’approcher du domicile de la femme victime, ni de l’école de ses enfants ni de son lieu de travail.
Une application, VioGen, permet de centraliser les informations en temps réels sur le risque auquel fait face chaque victime. Dans les cas les plus risqués, des patrouilles de police restent 24h/24 à surveiller le domicile de la victime, afin de dissuader l’agresseur de se rendre chez elle.
Enfin, des tribunaux spéciaux pour les violences de genre existent, qui ont des compétences à la fois pénales et civiles : ils permettent plus de rapidité dans le traitement des affaires, pour éviter des classements sans suite par manque de transmission d’information entre le magistrat du parquet et le juge civil, et les juges ont une connaissance et une maitrise de la particularité de ces violences.
Alors oui, il est possible de réduire le nombre de féminicides. Il faut juste s’en donner les moyens.
Le féminicide, c’est le fait le plus insoutenable sur l’échelle de la domination masculine. Qu’est-ce que cette échelle ? Et bien c’est l’échelle de la gravité des faits de sexisme : en bas de l’échelle, on retrouve les paroles sexistes, puis les outrages, le harcèlement. Et plus on monte sur cette échelle, plus les faits deviennent graves : on arrive aux agressions sexuelles, aux viols, pour en finir avec le féminicide.
La mort n’est finalement que l’aboutissement de la violence sexiste, qui s’exprime à tous les niveaux, simplement de manière différente. Cela fait partie d’un même système que nous nous devons de déconstruire.
Commençons par déconstruire le fait que la force et la violence soit attachés à la masculinité. N’éduquons pas nos garçons à être fort et à démontrer leur force à travers la violence. Et apprenons à nos filles à se révolter si on ne les écoute pas.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.