Vous nous parlez cette semaine des inégalités en politique
Oui, et c’est peut-être, historiquement, un domaine où l’on revient de très loin… De l’Antiquité jusqu’au XXe siècle, les femmes se sont vues exclues de toute participation politique. Cette exclusion s’est appuyée sur la distinction entre deux sphères, la sphère publique et la sphère privée : la place des femmes était dans la sphère privée, tandis que la sphère publique était réservée aux hommes. Et c’est cette dichotomie qui a justifié l’exclusion des femmes du contrat social, et de fait, de la vie politique. Comme le souligne Carole Pateman, en France, au 18e siècle, les être libres et égaux sont des hommes, et le « droit de vote universel » de 1848, que l’on continue d’étudier à l’école, est universel selon une norme masculine, car les femmes n’étaient pas comprises dans cet universel. Nouvelle démonstration que le neutre est masculin.
Alors, quand est-ce que les femmes ont eu le droit de vote en Europe ?
Les pays nordiques ont été pionniers dans l’acquisition du droit de vote pour les femmes : la Finlande, la Norvège et le Danemark l’ont accordé respectivement en 1906, 1913 et 1915. Une seconde vague a eu lieu dans l’entre-deux guerres : entre 1918 et 1931, l’Allemagne, l’Autriche, l’Islande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède, l’Espagne et le Royaume Uni ont accordé le droit de vote aux femmes. D’autres pays ont attendu la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour le mettre en place, c’est le cas de la France, de l’Italie, de la Belgique et de la Roumanie.
Mais il faut aussi mentionner les États qui l’ont accordé bien plus tardivement : la Suisse en 1971 et le Portugal en 1976.
Au-delà du droit de vote, du côté des positions de pouvoir, que peut-on dire de l’entrée des femmes dans la sphère politique ?
On peut tout d’abord souligner que l’entrée massive des femmes dans la sphère politique a été bien plus tardive que l’obtention du droit de vote. En France, à la Libération, seules 33 femmes ont été élues députées, soit 5% de l’Assemblée, dont les célèbres résistantes Rachel Lempereur, Marie-Claude Vaillant Couturier, et Marie-Madeleine Dienesch. Leur présence était principalement due à leur participation dans la Résistance, et ne marquait absolument pas l’entrée massive des femmes en tant que candidates.
Il faut aussi mentionner que l’entrée des femmes dans la sphère politique ne s’est pas faite par des candidatures féminines aux élections, mais s’est aussi établie par le fait du prince. Qu’entend-on par-là ? Et bien que les femmes ont été nommées ministres, elles puisaient donc leur légitimité d’hommes, le président et le premier ministre. Et il aura d’ailleurs fallu attendre le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing pour que des femmes deviennent ministres, notamment Simone Veil et Françoise Giroud ; tandis que sous les gouvernements gaullistes, elles n’ont été que Secrétaires d’État.
Et quels arguments ont motivé l’entrée des femmes dans la vie politique ?
L’entrée des femmes en politique a été pensée comme une réponse à la crise de la représentation. En effet, la présence des femmes en politique permettrait d’améliorer la représentativité de l’électorat, afin que le peuple se reconnaisse mieux dans ses représentant·es.
La légitimité des femmes a également été justifiée selon une perspective différentialiste, qui est profondément sexiste. Les femmes apporteraient autre chose, s’intéresseraient à des sujets différents, aurait une valeur ajoutée du fait de leur identité de genre. Les femmes sont donc légitimes en politiques parce qu’elles sont femmes, ce qui ne constitue pas une légitimité en soi, car elles sont ramenées à leur identité de genre.
Mais de nombreuses avancées ont eu lieu depuis, non ? Aujourd’hui, est-on parvenu à l’égalité ?
Bien sûr, il y a eu des avancées indéniables et incontestables. La politique locale en est une illustration : on a par exemple atteint la parité dans les conseils départementaux et régionaux. Mais il faut aussi rappeler qu’il existe des contraintes paritaires strictes à ces échelles, et que la répartition des secteurs d’activité de ces conseiller·es demeure genrée. Tout n’est donc pas parfait à cette échelle, mais c’est déjà mieux que d’autres institutions, qui ne sont pas encore parvenues à cette égalité : le bilan pour l’Assemblée nationale et le Sénat est par exemple plus contrasté … 37% des député·es sont des femmes, et le Sénat est composé à 64% d’hommes.
Et pour ce qui est du gouvernement, la parité est désormais un objectif clair et affiché, mais il ne faut pas, encore une fois, oublier la dimension genrée de la répartition des portefeuilles. Parmi 30 ministres de l’intérieur, on compte 1 seule femme nommée à cette fonction sous la Ve République. Côté ministère de l’économie, même constat, sur 35 ministres, 1 seule femme, Christine Lagarde. À l’inverse, 7 femmes ont été ministres de la santé, et 10 ministres de la culture. Et bien sûr, aucune femme n’a encore été élue présidente de la République.
Au-delà des chiffres et des pourcentages, il y aurait mille et une choses à dire sur cette thématique de la cause des femmes en politique, et je tâcherai de le faire dans les semaines à venir.
La politique, politicus, le gouvernement des hommes, les affaires de la cité.
Pourquoi la présence des femmes y est-elle essentielle ? Non parce qu’elles ont une sensibilité différente ou seraient complémentaires des hommes – cette conception différentialiste est sexiste – mais parce qu’une société où les femmes n’ont pas leur place dans les institutions qui décident des normes ne peut être une société juste.
L’égalité hommes / femmes est synonyme de combat, car naître femme limite encore notre possibilité d’accéder à des positions de pouvoir politique.
Nous verrons dans les prochaines semaines l’ensemble des mécanismes qui empêchent la mise en œuvre de cette égalité, mais aussi ce qui permet de favoriser la présence des femmes en politique, ce qui est bien plus porteur d’espoir.
Un jour peut-être, nous verrons autant de femmes que d’hommes sur les bancs de l’Assemblée. Un jour peut-être.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.