« Entendez-vous la Terre ? », c’est le nom que porte la chronique réalisée par Fanny Gelin, étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux, qui décode pour vous chaque jeudi l’actualité environnementale de l’Union européenne.
Quels ont été les moments verts de la semaine qui vient de s’écouler ? On en discute tout de suite avec Fanny Gelin. Bonjour et bienvenue ! Alors dites-moi : que nous dit la Terre cette semaine ?
La Terre nous parle tabac cette semaine. Au cours d’une conférence de presse le 4 novembre dernier, le député écologiste Nicolas Thierry et l’association Alliance contre le tabac ont présenté une proposition de loi historique visant à atteindre l’objectif gouvernemental d’une génération sans tabac à l’horizon 2032.
C’est un objectif ambitieux ! En quoi cela consiste concrètement ce concept de génération sans tabac ?
Eh bien, le principe de cette mesure est simple : interdire aux cigarettiers de vendre du tabac à toutes les personnes nées après 2014. La proposition de loi du député écologiste Nicolas Thierry repose sur un mécanisme évolutif : à partir de 2032, l’âge légal d’achat du tabac augmentera chaque année pour éviter l’entrée dans le tabac des nouvelles générations. Car la proportion de fumeurs a beau avoir diminué en France depuis les dernières décennies, le tabagisme reste la première cause de mortalité évitable en France avec près de 75 000 décès par an.
Ces chiffres sont certes frappants mais une génération sans tabac est-elle réellement envisageable ?
C’est ce que soutient le député Nicolas Thierry. Il est évident qu’il serait contre-productif et moralisateur d’interdire la consommation de tabac à l’ensemble des fumeurs actuels. Par contre, ce sont chaque année 200 000 jeunes qui rentrent dans le tabagisme. C’est là où se trouve la marge d’action. Ce qui explique que la proposition de loi cherche avant tout à protéger les générations futures. Et puis, il faut savoir que la France n’est pas le premier Etat à proposer une mesure de ce genre.
C’est-à-dire ? Quels sont les autres pays concernés ?
L’objectif d’une génération sans tabac avait été discuté en Nouvelle-Zélande, ou encore dans certains Etats fédérés aux Etats-Unis. Cette mesure a par ailleurs été adoptée par les Maldives depuis le 1er novembre 2025. Enfin, en Europe, une loi devrait être définitivement adoptée en ce sens au Royaume-Uni d’ici début 2026 pour interdire la vente de tabac aux jeunes nés après 2009. Ces exemples de l’actualité internationale nous montrent qu’un monde sans tabac est envisageable. Et pourquoi pas tout bonnement souhaitable ? L’époque de Pulp Fiction, de Jean-Paul Belmondo et de la glorification de la cigarette au cinéma est depuis longtemps révolue. Loi Evin oblige. Le prix des paquets de cigarettes a doublé entre 2015 et 2025. Et, exception faite des nombreux problèmes de santé liés au tabac et du coût social du tabagisme, estimé à 156 milliards d’euros par an, la cigarette a également d’importantes conséquences environnementales.
C’est-à-dire ? Pouvez-vous nous en dire plus sur ces conséquences ?
Il y a tout d’abord la culture du tabac, qui avant d’être roulé, a d’abord été planté, en détruisant chaque année l’équivalent de 280 000 terrains de football de forêts. Soit 5% de la déforestation à l’échelle mondiale. Sans compter les millions de tonnes de déchets plastiques et toxiques générés. Pour vous donner une idée, on estime à près de 4000 le nombre de substances issues de la combustion du tabac. Le problème, c’est que les mégots sont fréquemment jetés sans autre forme de procès sur les trottoirs, les caniveaux ou le bord des routes. Alors je vous laisse imaginer, mais si nos poumons deviennent noirs de fumée, il est plus que probable que la cigarette ne soit pas meilleure pour la santé de la nature qu’elle ne l’est pour la nôtre.
Je comprends bien l’étendue du problème… Mais alors, quelles sont les chances pour cette proposition de loi d’être adoptée ?
Cette proposition de loi est dans l’ère du temps et se veut transpartisane. Il est donc probable que le parti Renaissance, voire même certains députés Les Républicains décident de voter pour. Elle a donc des chances d’aboutir mais fait face à un obstacle majeur : le poids des buralistes et de l’industrie du tabac sur les politiques publiques. On se souvient de l’affaire Hoffmann, un fonctionnaire de la Commission européenne qui avait contribué à confier à Dentsu Tracking, l’un des géants de l’industrie du tabac, le contrôle d’un mécanisme de traçabilité du commerce du tabac en Europe. Avant de se pantoufler en devenant lobbyiste pour cette même entreprise…
C’est très ironique, en effet. Pour en revenir à la proposition de Nicolas Thierry, on remarque le timing millimétré de sa séquence de communication : quoi de mieux que le Mois sans tabac pour annoncer sa proposition de loi ! Pourriez-vous nous en dire un mot ?
Alors pour faire court, chaque année, durant le mois de novembre, cette opération invite tous les fumeurs à passer 30 jours sans fumer. Pourquoi 30 jours ? Parce que des études scientifiques ont révélé qu’arrêter de fumer pendant 30 jours multiplie par 5 les chances d’arrêter de fumer définitivement et qu’au-delà de ce cap, les symptômes de sevrage sont largement réduits. L’objectif : amorcer une dynamique et renforcer la détermination qui leur permettra d’arrêter la cigarette à l’avenir. Comment ça fonctionne ? Il suffit de s’inscrire sur le site Mois sans tabac pour bénéficier de diverses ressources et d’un programme d’aide à l’arrêt de la cigarette. Sans attendre une interdiction pour les générations futures, nous pouvons déjà réfléchir à notre propre consommation.
Merci Fanny. Je rappelle que vous êtes étudiante en master Affaires Européennes à Sciences Po Bordeaux.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.