Les histoires d'Europe de Quentin Dickinson

L'Année sans soleil

Photo de Jacek Dylag sur Unsplash L'Année sans soleil
Photo de Jacek Dylag sur Unsplash

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Cette semaine, Quentin Dickinson, vous voulez une fois de plus nous ramener à l’an 1815…

A ce même micro, nous avons en effet et à plusieurs reprises évoqué le rôle du Congrès de VIENNE de 1815 dans l’émergence de l’identité européenne.

Cette grande conférence s’était étirée tout au long de huit mois, et, en dépit de cette durée inhabituelle, les plénipotentiaires des quelque deux cents pays représentés (c’est-à-dire toute l’Europe, sauf l’Empire ottoman) n’ont pris congé de la capitale autrichienne qu’à contre-cœur, tant les plaisirs mondains, culturels (et galants) avaient rythmé les à-côtés des négociations.

Nous savons cependant aujourd’hui que, cinquante ans après, l’Autriche aura cessé d’être une grande puissance ; encore cinquante ans, et les cartes auront été entièrement rebattues : Français, Britanniques, et Russes ensemble contre l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, et les Ottomans.

Mais, pour l’heure, en avril 1815, les congressistes regagnaient leurs capitales respectives avec le sentiment d’avoir durablement rééquilibré les puissances d’un continent, délivré des tourments des vingt années précédentes.

Mais un autre – et considérable – malheur n’allait pas tarder à s’abattre sur les Européens.

A quoi faites-vous allusion ?...

A plus de onze mille kilomètres de VIENNE, se trouve l’île de Sumbawa dans l’archipel de la Petite-Sonde, alors partie des Indes orientales néerlandaises, aujourd’hui en Indonésie.

Or, au cours de ce même mois d’avril 1815, l’on y enregistre une très puissante éruption volcanique : le Mont Tambora s’est réveillé.

Les vulcanologues estiment qu’il s’agit là de l’éruption la plus importante depuis plus de mille trois cents ans.

Mais, justement, quelle importance pour les Européens ?...

Attendez la suite. Le 15 avril vers 19 heures, la déflagration fut entendue jusqu’à trois mille kilomètres de là ; au cours des trois mois suivants, le Tambora aura éjecté dans l’atmosphère l’équivalent d’une quarantaine de kilomètres cubes de magma, soit dix milliards de tonnes, accompagné de colonnes de cendres compactes. Expulsées verticalement, celles-ci allaient rapidement atteindre la stratosphère.

Peu à peu, un épais nuage grisâtre allait s’étirer au-dessus d’une considérable partie du globe, et, en particulier, en Europe.

Avec quelles conséquences ?...

Celles-ci ont varié en fonction de l’altitude, comprise entre dix et trente kilomètres. Sur place en Indonésie, on estime à environ cent mille le nombre de morts, incinérés par les coulées de lave ou en raison de la famine provoquée par l’anéantissement de toute forme d’agriculture.

Au début, en Europe, on a cru que l’impact se limiteraient à des phénomènes lumineux, colorant l’aube en rouge ou en mauve ; mais le nuage de poussière allait avoir pour effet de filtrer la lumière du soleil de façon significative. Ceci entraînera à la fois une chute des températures au sol et des récoltes catastrophiques, particulièrement en Irlande et au Pays de Galles. Des queues de familles affamées, mendiant un peu de nourriture, devinrent un spectacle courant dans les villes anglaises. En Allemagne, on assista à de nombreuses émeutes et des pillages autour des boulangeries, où le prix du pain s’était rapidement envolé. En Suisse et en France, le mois de juin est marqué par des tempêtes de neige.

Et, inévitablement, apparaissent des épidémies de typhus et de choléra, en particulier autour du bassin méditerranéen.

On imagine que la mortalité a dû être élevée…

En Europe, le nombre total de morts directement dus à la catastrophe est évidemment difficile à évaluer ; en toute hypothèse, il est supérieur à cent-quinze mille.

En tout cas, cette Année sans soleil, comme on a pu l’appeler, est historiquement celle de la famine la plus grave qu’ont à ce jour connu les Européens.

Mais cette page tragique (et un peu oubliée) de notre histoire illustre bien cette réalité, que les phénomènes naturels, impossibles à contrer, ne connaissent pas les frontières des États. Avis donc à transmettre utilement aux nationalistes et aux climatosceptiques de tous bords.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.