Chaque semaine, retrouvez Les histoires d'Europe de Quentin Dickinson sur Euradio.
Pour ce premier numéro de vos Histoires d’Europe, Quentin Dickinson, vous avez choisi de nous parler d’Europe – c’est logique – mais pas de l’Europe au sens géographique…
Chacun connaît l’histoire de la nymphe Europe, cette très jeune et très belle princesse phénicienne pour laquelle Zeus conçut un irrépressible désir. Transformé pour la séduire en un magnifique et doux bœuf blanc, le Dieu des Dieux la laissa s’approcher de lui, le nourrir, le câliner, jusqu’à ce que, par jeu, elle l’enfourcha – et là, dans l’instant, le paisible bovin se révéla tempétueux taureau, entraînant sa victime terrorisée dans les flots, pour rejoindre à la nage l’Île de Crète, où il lui révéla sa véritable identité. Résignée et soumise, Europe lui fit trois enfants, dont le futur Roi Minos – mais cela, c’est une autre histoire.
Le père d’Europe, Agénor, un immigré égyptien autoproclamé Roi de Tyr, protesta mollement, plutôt flatté de cette alliance divine, lui qui n’était qu’un bâtard du Dieu de la Mer. Il envoya bien ses trois fils à la recherche de leur sœur, avec pour consigne de ne pas la retrouver, consigne parfaitement respectée.
Merci de ce rappel mythologique – mais où voulez-vous en venir ?...
Tout simplement à ceci : pour désigner notre continent, l’Europe, on aurait pu imaginer une référence moins scabreuse que cette abominable affaire de viol d’une mineure d’âge par une personne âgée et investie d’autorité, une affaire qui ne peut trouver grâce qu’aux émules de Jeffrey EPSTEIN.
D’autre part, notre Europe fait face en ce moment à la convoitise destructrice, non d’un seul Dieu des Dieux, mais bien de deux personnages bien moins mythiques, et qui n’ont aucune difficulté à se prendre pour Zeus : vous aurez reconnu Vladimir POUTINE et Donald TRUMP, ce dernier ayant déjà quelque peu pris l’aspect d’un bovidé ruminant.
Il n’y a vraiment aucune autre explication à l’appellation de notre continent ?...
Je vous rassure : oui, il y en a – mais beaucoup plus techniques. Pour être précis, on en dénombre deux, toutes deux d’ordre géoétymologique.
D’abord, la plus ancienne : en langue phénicienne, le mot ereb signifie coucher du soleil. Or, vu de Mésopotamie, notre continent se situe bien à l’ouest : ereb se serait donc mué en europe au fil des siècles.
L’autre nous est proposée par le grec ancien. La combinaison de εύρύς et de ώψ, c’est-à-dire de étendu et de œil, peut se comprendre comme d’aspect considérable, une référence sans doute rapportée par les marins grecs pour décrire les vastes côtes de notre continent.
Je vous laisse le choix de la version – d’ailleurs, elles peuvent toutes deux être valables.
Mais vous ne nous avez pas tout dit, Quentin Dickinson…
…et j’ai même jusqu’ici omis l’essentiel : quand et par qui a-t-on pris l’habitude de désigner une étendue géographique du nom d’Europe ?
En fait, la première utilisation en géographie du nom Europe ne s’est appliquée qu’à une région de Grèce, la Thrace, au VIe siècle avant notre ère, pour s’étendre progressivement à l’ensemble de la Grèce et au-delà. Curieusement, l’Empire romain n’y faisait pas référence, et ce n’est qu’à partir du Moyen-Âge que les géographes, fins connaisseurs de la déjà lointaine culture grecque, ont généralisé le nom qui reste à ce jour celui de notre continent.
Notre continent, et pas seulement…
C’est vrai, le nom Europe inspire les dirigeants politiques et les philosophes, les artistes et les commerçants depuis le XIXe siècle et même avant : en 1610, l’astronome GALILÉE baptisait Europa l’une des lunes de glace de la planète Jupiter qu’il venait de découvrir ; trois cents cinquante-six ans après, le constructeur automobile britannique LOTUS présentait sa nouvelle voiture de sport, l’Europa.
Pas un domaine d’activité qui n’ait aujourd’hui son ‘Europe’.
Un entretien réalisé par Laurent Pététin.