La prolifération des contenus en ligne montrant des enfants subissant des actes sexuels a augmenté, particulièrement les contenus représentant les plus jeunes, puisqu’en 2022, il y a eu plus de 32 millions de signalements d'abus sexuels sur les enfants en ligne dans l’Union européenne, marquant une montée historique.
Face à cette augmentation de la pédocriminalité en ligne, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, dite Commission LIBE du Parlement européen, a adopté le 14 novembre dernier de nouvelles mesures de protection des enfants en ligne en prévenant et en faisant cesser les abus sexuels commis sur les enfants.
Des débats qui ont notamment abouti à la création d'un Centre européen pour la protection de l'enfance, et à l'obligation pour les fournisseurs d'accès à Internet d'évaluer s'il existe un risque important que leurs services soient utilisés à des fins d'abus sexuel sur les enfants en ligne et à prendre des mesures pour limiter ces risques.
Pour parler de ce que fait l’Union européenne pour protéger les enfants en ligne, Euradio reçoit Fabienne Keller, eurodéputée Renew qui a participé aux débats au Parlement européen à Strasbourg.
Euradio : Pour commencer Fabienne Keller, pouvez-vous nous expliquer quel est le rôle de l'Union européenne et du Parlement européen dans la lutte contre la pédocriminalité en ligne ?
F.K : L'Union européenne a un rôle très important s'agissant de la protection des enfants en ligne. Celle-ci est inscrite dans la charte des droits fondamentaux, c'est-à-dire la Convention européenne des droits de l'homme, qui dit bien combien les enfants doivent être protégés, qu'ils ont des droits, notamment en ce qui concerne l'éducation. L'intérêt supérieur de l'enfant est une priorité absolue dans nos choix au Parlement. Cette idée de bien-être et de protection des enfants est un socle dans les valeurs de référence du corpus législatif. Nous devons vraiment déployer toute notre énergie pour progresser dans ce domaine de la protection de l'enfance. Cette protection qui était autre fois physique et qui revenait aux parents, est désormais numérique. Avec ce texte, c'est l'Europe qui protège les petits européens.
Euradio : Qu'est-il ressorti de ces débats au sein du Parlement européen, concernant notamment une harmonisation des mesures entre les pays membres ? Est-ce que cette harmonisation est justement nécessaire pour rendre la lutte contre la pédocriminalité en ligne efficace ?
F.K : C'est absolument indispensable, la criminalité ne s'arrête pas aux frontières, au contraire même, les criminels se jouent des frontières et des écarts de législation qui peuvent exister. Il est également fréquent que les gestionnaires de bases de données des différents réseaux sociaux soient localisés ailleurs que dans le pays d'usage. C'est donc une question d'harmonisation, mais aussi de coopération. Il faut lutter contre cette pédocriminalité en ligne à l'échelle européenne, c'est primordial.
Euradio : Ici au Parlement européen, est-ce que ce dossier a été controversé ? Puisque par exemple, le Parlement veut exclure de la détection le matériel de chiffré de bout en bout (NDLR : un système de communication où seules les personnes qui communiquent entre elles peuvent lire les messages échangés). Est-ce que certains partis auraient voulu des mesures encore plus contraignantes ?
F.K : Disons que globalement nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut protéger les enfants contre les abus sexuels, il n'y a pas de doute là-dessus. Mais la sensibilité peu parfois être un peu différente, entre la priorité absolue à la protection des enfants, et la question de la protection des données. Avec ce texte, on demande aux plateformes d'aller assez loin dans le contrôle, voire de déchiffrer des messageries cryptées pour voir s'il n'y a pas de processus de grooming (NDLR : pratique où un adulte se « lie d’amitié » avec un enfant dans le but de commettre des abus sexuels à son encontre). Il se s'agit de voir jusqu'où on accepte de rentrer dans les données personnelles de chacun pour détecter ces comportements abusifs.
Euradio : Comment trouver justement cet équilibre entre la protection des enfants et des données ? Le risque n'est-il pas d'en arriver à une surveillance de masse ?
F.K : Pour l'instant, il n'est pas exclu de mettre en place cette détection de matériel criminel sur les messageries cryptées. Mais l'idée dans ce texte est vraiment d'avoir un volet préventif, pour informer sur les risques, un volet de lutte contre ces contenus, avec des mesures obligatoires pour les plateformes, et un volet d'aide aux victimes avec la création d'un Centre européen pour la protection de l'enfance, sur le modèle de ce qui peut être fait en France avec Pharos.
Euradio : Les plateformes ont donc un rôle primordial dans cette lutte contre la pédocriminalité en ligne. Quel pouvoir contraignant peut avoir l'Union européenne sur les plateformes ?
F.K : Les autorités judiciaires prévoient dans le texte qu'elles peuvent émettre un ordre de détection pour exiger aux plateformes de chercher et de signaler les contenus pédopornographiques, quand, le texte le dit, il y a des "motifs raisonnables de soupçons". C'est à ce moment-là le juge qui exige de la plateforme qu'elle fasse ce travail. Ensuite, l'autorité judiciaire peut émettre des ordres de blocage, pour bloquer les comptes criminels. Dans ce texte, il s'agit vraiment de responsabiliser les plateformes. Et cette exigence n'était pas si forte jusqu'à aujourd'hui.
Euradio : Qu'est-ce qui va changer, concrètement, avec l'adoption de ce texte ?
F.K : Comme nous l'avons déjà dit, la responsabilisation des plateformes, qui vont devoir faire une étude de risque sur l'utilisation de leurs services. Nous avons également augmenter les obligations en termes de mesures préventives, ainsi qu'une sécurité par le design même des plateformes.
Euradio : Une autre grande avancée avec ce texte, c'est la création d'un Centre européen de protection de l'enfance, qui vient en complément du DSA (NDLR : Digital Service Act, règlement européen sur les services numériques). Est-ce qu'on a déjà une idée de l'endroit où sera situé son siège, et est-ce que c'est la première structure de ce type à voir le jour ?
F.K : Plusieurs ville sont candidates, notamment Paris et Madrid. Rien n'est acté, mais il serait bien que le siège soit dans une ville où le centre de protection de l'enfance soit déjà bien actif. Ce sera la première instance de ce type. Ce sera à la fois un expert en termes de contrôle des abus sexuels en ligne, il aura une fonction d'assistance, de soutien aux structures nationales. L'idée est de partager les bonnes pratiques dans un domaine où une grande technicité et un grand professionnalisme sont requis.
Euradio : Pour conclure, quelle est la prochaine étape ici au Parlement européen, concernant la lutte contre la pédocriminalité en ligne et la protection des enfants ?
F.K : Il est temps d'adopter cette réglementation, de la mettre en œuvre, de l'évaluer, pour ensuite voir comment améliorer la loi. Ce n'est jamais terminé
Interview réalisée au Parlement européen par Lolla Sauty--Hoyer