"La France et la sécurité européenne" est une série de podcasts proposée par euradio pour éclairer le rôle central joué par la France dans la construction et l'évolution de la défense européenne, en analysant ses choix stratégiques, ses succès et ses échecs.
Depuis échec de la CED en 1954, il n'existait qu'une seule organisation européenne de défense, l'Union de l'Europe occidentale mais sans réel pouvoir et très méconnue. La défense de l'Europe était l'affaire de l'OTAN et de l'alliance atlantique. Quand ressurgit la question de la mise en place d'une défense européenne plus autonome ?
Dans les années 1980, François Mitterrand milite pour développer une défense européenne. Mais ses tentatives se heurtent aux réticences du Royaume-Uni et aboutissent seulement à la relance de l'Union de l'Europe occidentale et à quelques créations symboliques comme l'Eurocorps ou la brigade franco-allemande.
Après la chute du mur, le président Mitterrand et Helmut Kohl obtiennent que la nouvelle Union européenne - une union désormais politique - repose sur la création d'une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), mais sans obtenir la création d'une véritable politique de défense, qui est seulement un objectif dans le traité de Maastricht signé en février 1992. Cette PESC dispose d'un bras armé, l'Union de l'Europe occidentale (UEO), qui devient une composante de défense renforcée par le pilier européen de l'alliance atlantique.
Cette UEO dispose de missions qui ont été définies à Petersberg en 1992 comme des missions humanitaires et de maintien de la paix, mais elles doivent s'effectuer en liaison avec l'OTAN.
Les Européens doivent faire face au défi des années 1990, notamment avec la réapparition de la guerre en Europe suite à l'explosion de la Yougoslavie, sans véritable politique de défense ?
Oui, ce qui explique d'ailleurs en partie la relative impuissance des Européens lors des guerres de Yougoslavie et de la guerre de Bosnie, où c'est l'OTAN qui intervient militairement pour rétablir la paix. Cette impuissance va provoquer une prise de conscience des principaux leaders européens, notamment de Jacques Chirac qui souhaite relancer cette coopération, mais aussi de Tony Blair arrivé au pouvoir en 1997, qui va véritablement permettre de débloquer la situation.
C'est une initiative franco-britannique en 1998 à Saint-Malo qui permet de relancer cette coopération européenne en matière de défense, mais désormais initiée par les grands États membres. Il faut dire aussi que la crise du Kosovo au même moment souligne à nouveau la faiblesse des Européens. C'est en 1999 qu'est créée véritablement la PESD, la politique européenne de sécurité et de défense, qui est confirmée par le traité de Nice de 2001.
Cette politique aboutit à des premières initiatives qui s'avèrent finalement assez limitées, comme la création d'une Agence européenne de défense ou de groupements tactiques multinationaux. C'est le début aussi des premières opérations militaires ou civiles de l'Union européenne, notamment l'opération Concordia en 2003 en Macédoine, celle de Bosnie en 2004 ou encore Atalanta, une opération maritime contre la piraterie au large des côtes de Somalie, qui s'avère plus spectaculaire et plus visible.
À peine mise en place en 2001, la PESD se trouve interrogée par la nécessité d'approfondir l'Union européenne pour accompagner le grand élargissement vers l'Est, et par le projet de constitution pour l'Europe entre 2002 et 2004...
Exactement. Ces travaux aboutissent à la volonté d'approfondir cette politique extérieure et la politique de défense européenne.
Le traité constitutionnel échoue lors du référendum de 2005, mais ses principales propositions sont reprises dans le traité de Lisbonne de 2007. Elles aboutissent à la transformation de cette PESD en PSDC, politique de sécurité et de défense commune, qui va également remplacer la vieille UEO.
Cette PSDC a pour objectif de renforcer une politique de défense commune, toujours en lien avec l'OTAN, avec des actions possibles en matière de désarmement, d'assistance militaire, de prévention des conflits ainsi que de stabilisation des États à la fin des conflits. Cette politique dépend toujours d'une prise de décision à l'unanimité des États membres.
Il y a quand même deux grandes nouveautés. D'abord, l'introduction d'une clause de défense mutuelle dans le traité, qui prévoit une intervention commune de l'ensemble des pays membres en cas d'agression armée contre l'un des États membres. La seconde, c'est la possibilité de mettre en place des coopérations structurées permanentes, qui permettent à un groupe d'États volontaires de développer une coopération renforcée en terme de défense. Cela est décidé à la majorité qualifiée, ce qui doit normalement assouplir le système.
La PSDC est donc une politique de défense européenne améliorée. Elle démarre en 2009 dans le cadre de l'application du traité de Lisbonne, après sa ratification par les États membres. Comment s'est-elle mise en place et comment a-t-elle vraiment fonctionné dans les années 2010 ?
Finalement, la PSDC s'avère dans un premier temps assez décevante. Il s'agissait de rendre ces politiques de défense plus efficaces, plus fonctionnelles. Mais elle s'avère décevante, notamment parce que la politique étrangère est également relativement décevante à ce moment-là. Les États membres n'ont pas véritablement la volonté de se servir de ces politiques.
Quand il y a des menaces extérieures ou une volonté d'intervenir militairement, soit ce sont les États qui interviennent directement, soit l'UE agit dans le cadre de missions de médiation, comme en Libye en 2012 ou en Ukraine en 2014.
La PSDC se limite finalement à la mise en place d'actions de formation des armées, notamment en Afrique, mais elle ne s'avère pas véritablement crédible. Au milieu des années 2010, l'UE ne dispose toujours pas d'une véritable crédibilité militaire. La clause d'assistance est activée une première fois en novembre 2015, à la demande de la France, à la suite des attentats terroristes, ce qui n'était pas forcément l'objet, à l'origine, de cette clause d'assistance et de défense mutuelle.
La Commission européenne décide, à partir de la période 2016-2018, de relancer cette politique de défense en mettant en place un plan d'action européen, qui vise à aider les États à financer leur réarmement ou leur politique d'achat d'armement.
Cela passe par la création d'un Fonds européen de défense de 8 milliards d'euros en 2019, et par celle de la Facilité européenne pour la paix en 2021 qui vise à financer les opérations militaires de l'UE et à fournir une aide militaire à des pays partenaires.
Depuis 2022, quelles sont les conséquences de la guerre en Ukraine et des menaces russes sur la PSDC ? Quel avenir de la défense européenne à l'heure du retrait américain et de l'incertitude qu'il engendre ?
Dès l'invasion de l'Ukraine de février 2022, la Commission européenne et les États membres ont fortement soutenu l'Ukraine, notamment en permettant d'utiliser les moyens disponibles pour financer les livraisons d'armement à l'Ukraine. La Facilité européenne pour la paix a été utilisée pour financer directement la livraison d'armement, ce qui était une grande nouveauté pour l'Union européenne.
L'Union européenne a également lancé une opération d'assistance militaire dans le cadre de la PSDC pour former l'armée ukrainienne. Mais c'est d'abord l'OTAN qui a renforcé sa présence militaire en Europe centrale pour faire face à la menace russe, et s'est notamment élargi à la Suède et à la Finlande.
L'invasion de l'Ukraine provoque un débat en Europe sur la défense de l'Union européenne et sur sa véritable crédibilité. Ce débat s'est renforcé en 2024 avec l'élection de Donald Trump, avec des interrogations sur la fiabilité de la protection européenne. L'UE n'est toujours pas une véritable fédération reposant sur une alliance militaire et sur une politique de défense intégrée.
La question, finalement, est la suivante : comment renforcer la défense européenne dans ce cadre et comment faire en sorte que l'Union européenne progresse ?
Cela dépend avant tout d'un effort financier, qui entre dans les possibilités des pays européens s'ils en ont la volonté, et peut-être par la création d'une véritable alliance militaire européenne, certainement sur le modèle de l'OTAN. La question est de savoir comment remplacer les moyens américains, pourquoi pas en développant des moyens propres de l'Union européenne.
Mais la volonté politique semble relativement faible. Force est de constater que la question de la défense européenne autonome avance peu depuis quatre ans, en tous cas pas suffisamment pour relever les défis de la menace russe et d'un possible retrait américain.
Une chronique de Michel Catala, professeur d'histoire contemporaine à Nantes Université et directeur du centre d'excellence Jean Monnet UniPaix, au micro de Laurence Aubron.
Avec le soutien de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du Ministère des Armées.