Daniel Psenny est correspondant en Hongrie du Courrier d'Europe Centrale. Chaque mois, il nous donne rendez-vous, sur euradio, pour un regard unique sur l’Europe centrale et orientale dans la Chronique des Grandes plaines.
Politique, économie, société, histoire et culture, il nous dévoile une actualité de ces régions coincées entre Est et Ouest.
À moins d’un mois des élections européennes, le premier ministre hongrois Viktor Orban a, une nouvelle fois, marquer sa différence avec Bruxelles en affichant sa proximité avec le président chinois XI Jingping, lors de sa visite à Budapest début mai. Pourquoi Viktor Orban déroule t-il le tapis rouge à la Chine ?
C’est un choix politique et surtout économique de la part du premier ministre hongrois. Depuis longtemps, il voit à travers la Chine un autre moyen de défier l’Union Européenne que le dirigeant nationaliste n’arrête pas de combattre de l’intérieur. Il s’est d’ailleurs félicité que Xi Jinping ait choisi de faire sa dernière étape européenne à Budapest après Paris et Belgrade. Selon lui, cela montre l'importance que prend la Hongrie sur la scène internationale. Mais, cette proximité avec les dirigeants chinois lui permet surtout de renforcer l’économie hongroise qui connaît de sérieuses difficultés. Au cours de ces vingt dernières années, le commerce sino-hongrois a été développé par quatre et, depuis l’an dernier, les trois quarts de tous les investissements entrant en Hongrie provenaient de Chine, faisant de ce pays le premier investisseur de l’économie hongroise.
Comment cela se traduit-il ?
Au cours de leurs échanges à Budapest, Viktor Orban et XI Jingping ont signé 18 contrats importants qui concernent des secteurs stratégiques comme les liaisons ferroviaires, la construction d’un oléoduc entre la Hongrie et la Serbie et, surtout, une coopération dans le secteur nucléaire, convoité notamment par la France. D’ici le début de la prochaine décennie, 60 à 70 % de la production d’énergie en Hongrie devraient provenir de sources nucléaires. Par ailleurs, les Chinois ont annoncé qu’ils poursuivront leurs investissements de plusieurs milliards d’euros dans la construction d’usines de batteries et de voitures électriques à travers la Hongrie, au détriment des européens. La plus importante d’entre elles à Debrecen, deuxième ville du pays, aurait coûté 7,3 milliards d’euros. Une autre usine estimée à 5 milliards d'euros devrait voir le jour à Szeged, petite ville située à la frontière avec la Roumanie et la Serbie. Des investissements qui suscitent l’inquiétude des habitants de ces régions craignant pour leur santé et leur environnement. De leurs cotés, les partis d’opposition dénoncent l’opacité de ces contrats et la mauvaise odeur de corruption qui les entoure.
Comment expliquer de tels investissements de la part des Chinois ?
Il faut rappeler que la Chine a pris beaucoup de retard dans son industrialisation par rapport aux pays occidentaux et particulièrement, le Japon. Pendant longtemps les Chinois n’ont participé au commerce mondial qu’en produisant des produits de base. Désormais, ils rattrapent et même dépassent les marques européennes et japonaises dans la construction automobile, et ont surclassé le monde occidental dans la production de batteries. Concrètement, les entreprises chinoises peuvent désormais développer des produits sophistiqués et de haute qualité qu’elles vendent dans le monde entier face à l'Europe, qui est à la traîne dans le développement de ces nouvelles technologies.
La Hongrie est-elle la tête de pont commerciale chinoise vers l’Europe ?
Oui, la Hongrie est devenue, en tout cas, un point d’ancrage pour inonder de leurs produits cet immense marché européen. Mais, le plus important pour les entreprises chinoises est qu’elles puissent fabriquer leurs produits au sein même des pays européens pour des raisons logistiques et, surtout, pour éviter de lourds droits de douane en cas de différends politiques et commerciaux avec l’Europe. Ursula Van der Leyen, la présidente de l'Union Européenne, qui était présente à Paris auprès d’Emmanuel Macron lors de la visite de XI Jingping, a demandé que Pékin réserve à l’Europe un « égal accès aux marchés ». Avant la rencontre, elle avait également insisté sur le fait que l'Europe ne pouvait pas accepter le « commerce déloyal » causé par l'afflux de véhicules électriques ou d'acier chinois fabriqués, selon elle, grâce à des « subventions massives. Elle a aussi rappelé que l'UE n'hésitera pas à prendre, au cas où, des décisions fermes pour protéger l’économie et la sécurité européennes.
En s’installant dans plusieurs pays européens, les dirigeants chinois voient aussi plus loin…
Tout à fait. Ils misent beaucoup, par exemple, sur la construction de la ligne ferroviaire entre Belgrade et Budapest qu’ils cofinancent pour acheminer leurs exportations depuis le port du Pyrée en Grèce contrôlé désormais par Pékin. Comme une forme de pied de nez à ses interlocuteurs européens, le président chinois a appelé la Hongrie, qui prendra la présidence tournante de l’Union Européenne le 1er juillet, à jouer un rôle plus important dans le développement des relations Chine-Union européenne…
Les positions de la Chine sur la guerre en Ukraine sont-elles convergentes avec la Hongrie ?
Oui, Laurence tout a fait. Pékin et Budapest sont sur la même longueur d'onde concernant ce conflit. Les deux pays plaident pour un règlement pacifique tout en restant proche du Kremlin et de Vladimir Poutine. Ce dernier était d’ailleurs cette semaine en Chine pour un voyage officiel. Il est à noter que les autorités chinoises, qui se disent officiellement neutres, n'ont jamais condamné l'invasion russe. De son côté, la Hongrie tente de retarder le plus possible les résolutions de l’Union Européenne en faveur de l’Ukraine en menaçant de ne pas voter l’aide militaire et financière à Kiev. Lors de sa rencontre avec Xi Jingping, Viktor Orban qui affirme rejeter l’affrontement idéologique des blocs, a remercié - sans ironie - la Chine pour ses efforts en faveur de la paix dans la région.
Le résultat des élections européennes où les sondages prévoient une forte poussée des partis nationalistes et de l’extrême-droite, aura t-il une influence dans les fragiles équilibres entre l’Europe et la Chine ?
A n’en pas douter ! La Chine va regarder de près les résultats et voir comment elle pourrait prendre de nouvelles positions commerciales dans plusieurs pays européens. Après le départ de Xi Jingping, Viktor Orban s’est félicité de cette visite historique en assurant que « les relations sino-hongroises étaient à leur apogée ». De son côté, Xi Jinping a souligné le souci « d'indépendance » de Budapest et a estimé que les entretiens avec le dirigeant hongrois ont permis de porter le partenariat stratégique entre les deux pays à de nouveaux sommets. Selon le dirigeant chinois, l'amitié sino-hongroise est « comme le bon vin de Tokaj : parfumée, douce, riche et durable ». Il ne peut pas mieux dire…
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.