Daniel Psenny est correspondant en Hongrie du Courrier d'Europe Centrale. Chaque mois, il nous donne rendez-vous, sur euradio, pour un regard unique sur l’Europe centrale et orientale.
Politique, économie, société, histoire et culture, il nous dévoile une actualité de ces régions coincées entre Est et Ouest.
Bonne
nouvelle pour tous les amateurs de photographie ! Une exposition
permanente retraçant l’œuvre du photographe hongrois Robert Capa
sacré comme « le plus grand photoreporter de guerre du
monde » a été inaugurée en juin dans les bâtiments rénovés
du Capa Center à Budapest. Enfin, pourrait-on dire…
Oui, tout à fait. Car, jusqu’alors, seules une cinquantaine de ses plus célèbres photos étaient exposées dans une petite pièce au premier étage du « Capa Center » et n’attirait guère les foules. Désormais, après quatre ans de travaux, l’œuvre de Capa peut se visiter sur deux étages.
Cette nouvelle exposition permanente rassemble 137 photos encadrées auxquelles s’ajoutent 400 autres clichés - dont plusieurs en couleurs - visibles sous forme de projection. Elle a été rendue possible grâce à l’appui du Centre international de la photographie - l’ICP - fondé à New York en 1974 par Cornell Capa, le frère de Robert. Pendant de nombreuses années avant sa mort en 2008, Cornell a rassemblé et conservé les soixante-dix mille négatifs de son frère, co-fondateur en 1947 de l’agence Magnum avec Henri Cartier Bresson, George Rodger et David Seymour.
Comment s’est fait le choix des photos ?
Elles ont été sélectionnées par Cornell Capa et l’historien de la photographie Richard Whelan. Après avoir exploré les milliers de négatifs des reportages du photographe, ils ont retenu seulement 937 images. Selon eux, elles caractérisent le mieux la carrière de Capa entre 1932 et 1954, année de sa mort en Indochine à l’âge de 41 ans.
Après avoir acheté la totalité de la série en 2008 avec l’aide financière de l’État hongrois, le Capa center est désormais le troisième musée à pouvoir exposer en permanence l’œuvre de Robert Capa avec l’ICP à New York et le Fuji Art museum à Tokyo. 48 nouvelles photographies originales d’un reportage de Capa en Hongrie réalisé en 1948 pour la revue américaine « Holiday » devraient prochainement venir compléter la collection.
Y a t-il une mise en scène particulière de cette exposition ?
Oui. Cette nouvelle exposition ne s’arrête pas à un alignement de photos. C’est surtout une extraordinaire remontée dans le temps en forme de voyage intérieur. A travers des objets, des écrits et des sons, l’on suit le parcours du jeune Endre Ernő Friedmann, enfant juif ayant fui la capitale hongroise en 1931 pour Berlin puis Paris où il deviendra le grand photojournaliste Robert Capa, forgeant sa légende sur tous les champs de bataille du XXème siècle.
D’ailleurs, dès l’entrée, le visiteur entre immédiatement dans le vif du sujet avec les rares photos de Léon Trotski, l’ex-dirigeant de l’Armée Rouge, prises par Capa en 1932 à Copenhague au Danemark. Ce fut son premier reportage. En quelques photos prises en contre plongée, il montre le principe qui allait le guider tout au long de sa vie de photojournaliste : être au plus près de l’action.
Peut-on y voir des photos inédites de Capa ?
Non, les photos ne sont pas inédites mais certaines sont méconnues. Au fil de la déambulation, quatre espaces d’informations permettent de se familiariser avec la personnalité de Capa et de découvrir son œuvre à travers de nombreux outils interactifs, cartes, films, rares interviews-radio, images et documents. Au fil des photos vues et revues dans les nombreux livres, on est de nouveau frappé par leur pertinence.
Il photographiait la guerre au mépris du danger et avec une grande compassion. On y perçoit aussi ses états d’âmes d’immigré, ses engagements contre l’injustice et cette solidarité avec des gens qu’il ne connaît pas mais dont il partage intimement le même destin. On s’arrête à nouveau, comme si c’était la première fois, devant ses images emblématiques prises pendant la guerre civile espagnole ou celles du débarquement à Omaha Beach.
Une place a aussi été réservée à sa compagne, la photographe Gerda Taro.
Oui, car elle a – à juste titre - toute sa place dans cette exposition. Capa l’avait rencontrée à Paris après qu’elle ait fui l’Allemagne nazie. C’est elle qui avait trouvé le nom de Robert Capa, un nom a résonnance américaine pour mieux vendre ses photos aux journaux. Photographe engagée aux côtés des Républicains espagnols, Gerda Taro est morte écrasée par un char le 26 juillet 1937 à l’âge de 28 ans en photographiant les combats.
Capa ne se remit jamais de sa disparition. Son ombre plane sur la cinquantaine de photos de l’exposition consacrées à la guerre d’Espagne. Parmi elles, les trois célèbres photos du milicien républicain fauché par une balle et dont le mouvement de sa chute se dessine habilement au sol dans un halo de lumière.
Reconnu comme le plus grand photojournaliste du monde, Capa a peu bénéficié des honneurs de la Hongrie. Comment l’expliquer ?
Il n’y a pas d’explications officielles. Mais, on peut supposer que Capa, juif émigré, compagnon des combats de la gauche à travers ses reportages, ne fait pas partie du nouveau « récit national » que veut réécrire le premier ministre nationaliste Viktor Orban. Paradoxalement, son gouvernement a subventionné à hauteur de 2 millions d’euros la rénovation du Capa center et a contribué à l’achat de ses photos. Pour sa part, la directrice du centre Capa explique que cette exposition est l’occasion de redonner sa juste place à Capa, souvent présenté comme un photojournaliste américain. Et, c’est aussi la plus belle manière de rendre hommage à l’un de ses plus célèbres enfants et de le ramener à la maison.
S’il n’y avait qu’une seule photo à retenir de cette exposition, quelle serait-elle ?
Il est impossible d’extraire une seule photo de l’œuvre de Capa. Il faut la regarder dans son ensemble. Mais, je retiendrais la dernière photo de l’exposition qui m’a beaucoup émue. Elle est signée Elliot Erwitt, son confrère de l’agence Magnum. Dans le cimetière militaire d’Arlington en Virginie aux Etats-Unis, on y voit Julia Friedmann, la mère de Capa, éplorée à genoux sur la pierre tombale de son fils.
L’image est poignante. Elle avait tenu que son fils soit enterré dans ce cimetière dédié aux soldats américains, mais refusé que les honneurs militaires lui soient rendus car, disait-elle, Capa détestait la guerre… Il préférait jouer au poker et fréquenter les hippodromes. D’ailleurs, il disait souvent : « Le correspondant de guerre a sa vie entre les mains et il peut la miser sur un cheval ou sur un autre. Il peut aussi la remettre dans sa poche à la dernière minute. Moi, je suis un joueur… ».
Merci Daniel Psenny. L’exposition « Robert Capa, le photojournaliste » est visible au centre Capa à Budapest tous les jours de la semaine, sauf le lundi.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.