Les chroniques de la Grande Plaine

2024 : l'année de Viktor Orbán

© European Union 2019 - Source : EP 2024 : l'année de Viktor Orbán
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Chaque mois, Daniel Psenny, correspondant en Hongrie du Courrier d'Europe Centrale, vous donne rendez-vous sur euradio pour une chronique offrant un regard unique sur l’Europe centrale et orientale.

Bonjour Daniel. Le premier ministre hongrois Viktor Orban sera très présent tout au long de cette année avec les élections européennes en juin où ses idées font la course en tête. Peut-on dire que ce sera « l’année Orban » ?

Il y a de grandes chances. D’autant plus, que le 1er juillet, la Hongrie prendra pour six mois la présidence tournante de l’Union Européenne. Les quelques semaines qui nous séparent du scrutin européen vont donc être un formidable tremplin politique pour Viktor Orban et ses amis d’extrême-droite à travers l’Europe. Sondages après sondages, leurs idées semblent s’imposer dans de nombreux pays européens et la future composition du Parlement européen va certainement bouleverser les équilibres politiques de l’Union Européenne alors que l’ordre international est sérieusement menacé avec les guerres en Ukraine et au Proche Orient. Rappelons que, déjà, plusieurs pays comme l’Italie, les Pays Bas ou la Slovaquie sont dirigés par des coalitions d’extrême-droite, et il est plus que probable que ces choix soient confirmés pour les européennes. Au centre de ce grand chamboulement politique, on trouve Viktor Orban qui, en treize années de pouvoir, s’est positionné comme la référence idéologique avec sa politique illibérale et sa résistance aux règles européennes. De plus, il pourrait bientôt remplacer Charles Michel à la présidence du Conseil européen après l’annonce de sa décision d'écourter son mandat pour se présenter aux élections européennes.

Viktor Orban a-t-il une chance ?

Il y a une possibilité juridique même si cela paraît peu probable dans le contexte politique. Mais, Charles Michel a soulevé lui-même cette option en précisant que la présidence du Conseil européen pourrait être confiée au dirigeant du pays occupant la présidence tournante de l’UE, à savoir la Hongrie. S’il est élu, Charles Michel devra quitter ses fonctions le 16 juillet, date de sa prestation de serment, soit six mois avant la fin de son mandat fixé au 30 novembre. Il ne pourra pas combiner les deux postes et le Conseil devra donc se réunir après les européennes afin de désigner son nouveau président. Tout dépendra alors du nouveau rapport de forces politiques après le scrutin.

En décembre, lors du dernier Conseil Européen, Orban avait passé un compromis avec les dirigeants de l’Union pour ne pas utiliser son droit de véto sur le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’Europe. Va-t-il récidiver lors du prochain Conseil qui se tiendra le 1 er février ?

Sans doute. D’ailleurs, Orban a prévenu qu’il y aura environ « soixante-quinze occasions » où le gouvernement hongrois pourra arrêter ce processus et faire traîner le dossier. On peut donc penser que les négociations en coulisses vont bon train entre les dirigeants européens et Viktor Orban avant le prochain Conseil. En grand ami de Vladimir Poutine, Orban sait qu’il détient une carte maîtresse avec son droit de véto bien qu’il vote l’aide financière à l’Ukraine. Il en profite donc pour obtenir, en contrepartie de son abstention, le versement du reste des fonds européens destinés à la Hongrie qui sont bloqués depuis un an en raison des atteintes à l’État de droit dans son pays. La Hongrie en a touché une partie en décembre, mais près de 20 milliards restent toujours bloqués ce qui nuit gravement à l’économie hongroise.

Ce premier versement a eu lieu car, selon Bruxelles, des améliorations avaient été constatées notamment dans le domaine de la Justice. Qu’en est-il en ce début d’année ?

La situation ne s’est pas améliorée. Elle s’est même détériorée avec le vote du Parlement hongrois, en décembre, de la loi sur la protection de la souveraineté. Cette loi qui est censée lutter contre le financement des partis politiques par des fonds étrangers prendra effet dès le 1er février. Elle prévoit la création d’un Bureau pour la protection de la souveraineté qui pourra enquêter sans aucun contrôle sur quiconque représente à ses yeux une menace. A savoir les ONG, les médias, les partis politiques ou n’importe quel individu qui émettrait une critique sur le pouvoir en place. En cas d’infraction, la sanction sera de trois ans de prison. Les services secrets apporteront leur aide et le Bureau qui sera dirigé par un fidèle d’Orban bénéficiera d’une totale impunité même en cas d’erreur. Cette loi s’appliquera pour les élections européennes mais également pour les élections municipales en Hongrie qui doivent aussi se tenir en juin. Le but étant de reprendre la mairie de Budapest que l’opposition avait conquise lors des dernières élections au détriment du parti de Viktor Orban.

Cette loi suscite-t-elle des protestations en Hongrie ?

Oui. Elle est très vivement dénoncée par les ONG et les derniers médias hongrois qui ne sont pas sous la coupe des amis d’Orban. Dans un communiqué commun, les principales ONG de défense des libertés civiles, hongroises et étrangères, dont Amnesty et Transparency ont alerté les dirigeants de la planète en expliquant que la nouvelle législation est en fait « une loi de défense du régime qui vise à protéger l’exercice arbitraire du pouvoir ». Pour de nombreux opposants au régime d’Orban, cette loi vise surtout à étouffer toute dissidence et à faire taire les voix critiques.

Et que dit Bruxelles ?

Rien ! Même si plusieurs députés européens ont dénoncé le vote de cette loi et proposent de sanctionner la Hongrie, il n’y a eu, pour le moment, aucune réaction officielle des dirigeants européens qui, visiblement, ne veulent pas froisser Orban avant le Conseil. Seul, l’ambassadeur américain en Hongrie David Pressman, très critique du gouvernement hongrois depuis son installation à Budapest, a jugé que cette nouvelle loi « fait passer pour gentillette la loi russe sur les agents étrangers ».

Dans sa bataille idéologique, Viktor Orban a d’ores et déjà reçu le soutien de Donald Trump qui a de grandes chances de briguer un second mandat pour la Maison Blanche en novembre…

Oui, tout semble se mettre en place comme un puzzle ! La semaine dernière, lors d’un de ses discours de campagne avant les primaires républicaines du New Hampshire, Donald Trump a cité Viktor Orbán comme exemple en déclarant, je cite, qu’il existe en Europe « un grand homme, un grand leader, que certains n'aiment pas parce qu'il est trop fort ». Ce n'est pas la première fois qu'Orbán reçoit de tels éloges de la part de Trump : l'automne dernier, le candidat à la présidentielle avait déclaré qu’ « il était l'un des dirigeants les plus puissants du monde » en le présentant comme le « président de la Turquie » ! Pas rancunier, Viktor Orban a été le seul dirigeant européen à féliciter Donald Trump pour sa large victoire dans l'Iowa.