Daniel Psenny est correspondant en Hongrie du Courrier d'Europe Centrale. Chaque mois, il nous donne rendez-vous, sur euradio, pour un regard unique sur l’Europe centrale et orientale dans la Chronique des Grandes plaines.
Politique, économie, société, histoire et culture, il nous dévoile une actualité de ces régions coincées entre Est et Ouest.
Le premier ministre hongrois Viktor Orbán a lancé, la semaine dernière, une nouvelle consultation nationale à travers un questionnaire visant à « défendre la souveraineté » de son pays face à aux dirigeants de Bruxelles. De quoi s’agit-il ?
Cette nouvelle consultation nationale - la douzième depuis 2010 - est une spécialité de Viktor Orbán qui gouverne en s’adressant directement au peuple hongrois. Il ne s’agit pas d’un référendum mais plutôt d’une sorte de plébiscite ou d’une vérification auprès de son électorat afin d’obtenir, comme il dit, « un blanc-seing » dans sa bataille contre Bruxelles.
Quelle est sa motivation ?
Voilà des mois que Viktor Orbán est en guerre avec l’Union Européenne à qui il réclame les 20 milliards d’euros de subventions qui sont toujours gelés par les autorités de Bruxelles en raison des insuffisances dans la mise en œuvre du respect de l’État de droit en Hongrie. Malgré quelques améliorations dans ce domaine, Bruxelles rechigne toujours à lui verser cet argent dont le manque pèse lourdement dans l’économie hongroise.
Quelles questions sont posées aux électeurs hongrois ?
Elles sont au nombre de onze et s’apparentent plutôt à des affirmations – pour la plupart mensongères – qu’à des questions. En voici quelques-unes : « Bruxelles veut établir des ghettos de migrants en Hongrie. Qu’en pensez-vous ? » ; « Bruxelles veut donner davantage d’armes et d’argent à l’Ukraine. Qu’en pensez-vous ? » ou bien « Ces dernières années, Bruxelles a donné des centaines de milliers d’euros à des organisations palestiniennes. Une partie de cette aide a également été versée à l’organisation terroriste Hamas » Qu’en pensez-vous ? Il y en a pour tout le monde. Les LGBTQ, grande obsession du gouvernement Orbán, ne sont pas oubliés. Le questionnaire demande si la loi sur « la protection de l’enfance » votée cet été en Hongrie - destinée surtout à réprimer l’homosexualité -, doit être renforcée face au laxisme de Bruxelles dans ce domaine.
Cette consultation peut-elle changer les choses en Hongrie ?
Non, car elle n’a rien de légal. En 2022, la dernière consultation portant sur les sanctions de l’Union Européenne contre la Russie, seuls 1,4 million d’électeurs avaient répondu aux questions, soit 17,5 % des 8 millions du corps électoral. Cela n’avait pas empêché le gouvernement d’affirmer que 97 % des Hongrois étaient opposés aux sanctions.
Pour appuyer cette nouvelle consultation, le Fidesz, le parti d’Orbán, a fait couvrir les rues de Hongrie d’affiches qui ont soulevé la polémique. Pourquoi ?
Effectivement, Budapest et toutes les routes de Hongrie sont couvertes d’affiches qui montrent un photomontage douteux en noir et blanc d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, surveillée dans son dos par Alexander Soros, le fils héritier du philanthrope hongro-américain George Soros, l’ennemi juré d’Orbán. Sur un fond bleu nuit on peut y lire : « Ne dansons pas comme ils sifflent ». Le « ils », a été vite compris comme une attaque antisémite contre la famille Soros qui est d’origine juive.
Le Fidesz a rapidement modifié l’affiche, mais pas pour cette raison…
Non, Laurence, même si le Fidesz s’est défendu de toute attaque antisémite. Ses dirigeants ont modifié l’affiche pour cacher la main du fils Soros qui, le doigt tendu, indiquait la route à suivre. Selon eux, cette main brouillait le message et a donc été recouverte par du papier noir.
Y a-t-il eu des réactions de l’Union Européenne ?
Oui, mais elles ne sont pas tonitruantes. Sans nommer Viktor Orbán, Eric Mamer, le porte-parole de la Commission européenne, a simplement déclaré que « l’Union Européenne croit en l'intelligence des quelque 10 millions de citoyen•nes hongrois•es » et que, selon lui, ils peuvent se faire leur propre opinion sur la base des informations objectives que L’Union Européenne fournit.
Ce n’est pas la première fois que la communication du gouvernement Orbán flirte avec la propagande antisémite…
Oui, tout à fait. En 2019, une campagne d’affiches controversée, également financée par le gouvernement hongrois, visait déjà George Soros qui, dans un photomontage, manipulait comme un pantin le président de la Commission européenne de l’époque, Jean-Claude Juncker. L’affiche affirmait que des forces mondiales obscures tentaient de s'immiscer dans la politique du pays.
Avec cette nouvelle campagne, Viktor Orbán prépare-t-il les prochaines élections européennes de juin prochain où il entend fédérer l’extrême droite européenne ?
C’est évident. D’ailleurs, ce mois de novembre a été faste pour les idées défendues par Viktor Orbán. Après avoir été un des premiers dirigeant gouvernemental européen à féliciter la victoire de Javier Milei, le candidat radical argentin qui veut massacrer l’État à la tronçonneuse, il s’est réjoui du score très élevé de Geert Wilders, le leader de l’extrême-droite hollandaise lors du premier tour des élections législatives de la mi-novembre. Il tente aussi depuis des mois à resserrer les liens avec Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien et Marine Le Pen, la cheffe du rassemblement National en France. Cet été, lors d’un discours, il a expliqué sa stratégie en affirmant qu’il fallait désormais encercler la droite européenne.
Au-delà de cette offensive contre Bruxelles, Viktor Orbán veut, une nouvelle fois, s’attaquer aux partis de l’opposition et aux médias. Que cherche-t-il ?
Dans la perspective des prochaines élections municipales hongroises qui auront lieu au printemps prochain, le gouvernement Orbán veut discréditer toute opposition à son pouvoir. Il a donc soumis cette semaine au Parlement un amendement prévoyant la création d’une nouvelle autorité chargée de traquer les financements étrangers qui, selon lui, « influencent les électeur•rices ». Sont particulièrement visés les partis politiques d’opposition, les médias indépendants, les ONG critiques, dont celle de Soros, et tout ce qu’il dénonce depuis des mois comme « la gauche dollar ».
Le 1er juillet prochain, la Hongrie prendra la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne pour six mois. Y a-t-il un danger ?
Cette présidence va être, en tout cas, sous haute surveillance de la part des autres membres. Elle servira surtout de haut-parleur pour Viktor Orbán qui, en jouant le jeu des institutions, pourra montrer qu’il n’est pas le « mouton noir » de l’Europe mais que son pays ne se pliera pas à la volonté de l’Union européenne.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.