Les chroniques de la Grande Plaine

Péter Magyar, l’homme qui défie Orban

Péter Magyar, l’homme qui défie Orban

Depuis deux mois, le pouvoir de Viktor Orban est sérieusement bousculé par Péter Magyar, un jeune avocat de 44 ans inconnu jusque là du grand public. Daniel Psenny fait le portrait de ce nouveau venu sur le devant de la scène politique hongroise.


Bonjour Daniel, pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2010, Viktor Orban le premier ministre nationaliste hongrois, est confronté à une crise politique majeure. Que se passe t-il ? 

Oui, Laurence en effet, depuis deux mois, le pouvoir de Viktor Orban est sérieusement bousculé par un jeune avocat de 44 ans inconnu jusque là du grand public. Péter Magyar, c’est son nom, cadre de l’élite dirigeante, est toujours resté dans l’ombre de la politique tout naviguant dans les eaux troubles du pouvoir hongrois où il a profité des largesses octroyées aux proches du premier ministre. Il était surtout le mari de Judit Varga, la ministre de la Justice, étoile montante de l’orbanisme et future tête de liste du Fidesz, le parti d’Orban, aux élections européennes du 9 juin. Une vie de golden boy façonné par les journaux en papier glacé et rythmée par les dîners entre amis de la jeune garde du parti au pouvoir.  Entre la poire et le fromage, ils se partageaient les places bien rémunérées dans les conseils d’administration des entreprises d’Etat ou les appels d’offres les plus rentables.  Mais, en février, il a craqué.

Pourquoi une telle rupture ?

Après avoir divorcé il y a un an avec Judit Varga, celle-ci - alors toujours ministre de la Justice - s’est retrouvée mêlée en début d’année à un scandale de pédocriminalité révélé par un site hongrois d’investigation. Celui-ci indiquait qu’elle avait contre signé une grâce présidentielle accordée discrètement à un ancien directeur adjoint d'un foyer pour enfants mêlé à une affaire de pédophilie. Pour tenter d’éteindre le feu du scandale et limiter les dégâts politiques, Orban a demandé la démission de la présidente de la République et, dans la foulée, Judit Varga a annoncé, son retrait de la vie publique. Des démissions forcées qui sont vite apparues comme un séisme politique pour le pouvoir. Face au lâchage brutal de ces deux femmes par Viktor Orban, Péter Magyar a alors démissionné  de ses différentes fonctions et affirmé  ne plus vouloir faire partie du système mis en place par le premier ministre. 

Quelles sont ses intentions ?

Il a d’ores et déjà annoncé la création d’un  nouveau parti politique qui vise tout simplement à renverser Viktor Orban. Le lendemain de sa fracassante démission, il a commencé à donner des interviews à tous les médias d’opposition en racontant dans le détail la mécanique de la corruption politique et économique, les manipulations, les pots-de-vin, le contrôle des médias et les pressions des services de renseignements. Des entretiens regardés sur YouTube par des millions de Hongrois lassés des programmes de propagande. Le 15 mars, jour de la fête nationale, il a réuni près de 30000 personnes à Budapest, et le 6 avril, ils étaient plus de 100000 sur la place du Parlement pour écouter les grandes lignes de son programme politique. Un rassemblement  qui en fait l'une des deux plus grandes manifestations politiques d'opposition depuis la chute du communisme.

Quel est son programme politique ?

C’est un programme en douze points où l’on note, entre autres,  le rétablissement du ministère de l'Éducation géré aujourd’hui par le ministère de l’Intérieur, le retour à l'indépendance de l'audiovisuel et l'adhésion de la Hongrie au parquet européen chargé de contrôler l'utilisation des fonds européens. Depuis plusieurs années, une partie de ces fonds sont bloqués par Bruxelles en raison du non respect de l’Etat de droit en Hongrie et font l’objet d’un minutieux marchandage, voire de chantage, entre Orban et les dirigeants européens

Péter Magyar a t-il des chances de réussir son pari politique ?

En tout cas, ses révélations tiennent le pays en haleine. Selon un sondage, il est déjà crédité de 13% d’intentions de vote, ce qui est énorme pour quelqu’un surgi de nulle part. Son positionnement comme conservateur de droite qui – je cite -  ne « supporte plus de voir les dirigeants piller et détruire le pays », peuvent séduire des électeurs modérés du parti de Viktor Orban et ceux de l’opposition qui ne voient aucune issue à leurs batailles. Dans la foule de ses rassemblements, de nombreux électeurs du Fidesz ont déclaré approuver la démarche de Péter Magyar. Tous les observateurs soulignent que Péter Magyar pourra, éventuellement, gagner son pari s’il bénéficie d’un déplacement de voix lors des prochaines élections européennes et municipales. Apparu trop tardivement, Magyar ne pourra pas légalement créer son propre parti et sera donc candidat aux Européennes sous l’étiquette d’un parti provisoire.

Comment ont réagi Viktor Orban et ses fidèles ?

Jusqu’ici, Viktor Orban n’a pas réagi personnellement ni officiellement à l’entrée en politique de Péter Magyar. Il a plutôt fait donner sa garde rapprochée qui multiplie les menaces et les attaques personnelles dans tous les médias gouvernementaux. Il est souvent traité de tra^tre et de renégat. Ils l’accusent, entre autres, de violences conjugales contre son ex-femme et d’être financé par les Américains de « la gauche dollar ». 

Et que disent les partis d’opposition ? 

Ils apparaissent comme sonnés. Ils sont surtout pris de court. La plupart de ses dirigeants qui sont sur la scène politique depuis la chute du communisme et traînent derrière eux des affaires de corruption, sont démonétisés. Ils ont en tout cas compris que l’irruption de Magyar est plus dangereuse pour eux que pour Viktor Orban. D’ailleurs, lors de ses interventions publiques, Magyar n’hésite pas à critiquer sévèrement l’opposition et ses dirigeants qui, selon lui, n’ont pas réussi à déloger Viktor Orban du pouvoir depuis quatorze ans.  

Quelle est la prochaine étape ?

Le prochain rendez-vous est fixé à Budapest le 5 mai, jour de la fête des mères en Hongrie, puis le 9 juin jour des élections européennes et municipales qui ont lieu le même jour en Hongrie. D’ici là, Magyar a commencé à parcourir le pays car il sait très bien que Budapest n’est pas toute la Hongrie. La campagne est restée très conservatrice et a tendance à faire confiance à Orban qui y entretient un fort clientélisme. Pourtant, Magyar y croit. Sur la place du Parlement qui a été un des hauts lieu de la Révolution de 1956, il a lancé à la foule : « Nous allons reprendre notre pays étape par étape, et brique par brique pour construire une Hongrie souveraine et moderne ». La bataille promet d’être féroce.