Daniel Psenny est correspondant en Hongrie du Courrier d'Europe Centrale. Chaque mois, il nous donne rendez-vous, sur euradio, pour un regard unique sur l’Europe centrale et orientale.
Politique, économie, société, histoire et culture, il nous dévoile une actualité de ces régions coincées entre Est et Ouest.
Lors des élections européennes et municipales en Hongrie le 9 juin, le premier ministre Viktor Orban a subi un revers électoral qui est passé inaperçu. Que s’est-il passé ?
Effectivement, l’événement est passé quelque peu inaperçu au milieu des résultats assez catastrophiques des autres pays européens - notamment en France – qui ont vu une forte poussée de l’extrême-droite. Mais, dimanche dernier, Viktor Orban a connu, pour la première fois depuis son retour au pouvoir il y a quatorze ans, une petite déroute électorale qui restera comme un virage et un symbole dans la vie politique hongroise. Certes, avec 44,6 % des voix et 11 sièges au Parlement pour le Fidesz, le parti de M. Orban, le premier ministre a gagné les élections européennes face à ses adversaires, mais, lorsqu’on y regarde de plus près, le Fidesz enregistre son plus mauvais score électoral depuis 2006 en perdant près de 8% de ses électeurs par rapport au scrutin de 2019. Il perd aussi deux députés sur les 13 qu’il détenait auparavant. Une première pour Orban qui était habitué à remporter haut la main tous les scrutins dans son pays.
Comment expliquez-vous ce recul ?
L’explication porte un nom : Peter Magyar. Ce jeune avocat de 44 ans, diplomate et haut fonctionnaire ayant gravité pendant des années dans la galaxie Orban, était inconnu des Hongrois il y a encore quelques mois. Il a fait irruption sur la scène politique hongroise en février après que son ex-femme, Judith Varga, alors ministre de la Justice et désignée tête de liste du Fidesz pour les Européennes, a été limogée du gouvernement par Viktor Orban pour avoir gracié un pédocriminel. Jugeant cette décision scandaleuse, Magyar a quitté le Fidesz et annoncé son entrée en politique avec comme programme de dénoncer la corruption des dirigeants hongrois et faire chuter Viktor Orban. Ses entretiens avec les rares médias indépendants en Hongrie où il raconte de l’intérieur les dérives du système ont été visionnés des millions de fois. En quelques semaines, il a mobilisé des centaines de milliers de personnes lors de grands rassemblements dans les villes hongroises. Et, le 9 juin, à la tête de son nouveau parti Tisza (Respect et liberté) qui se veut « ni à gauche, ni à droite », il a obtenu 29,7 % des suffrages et enverra 7 députés à Strasbourg. Avec cette campagne, Magyar a surtout marginalisé la vieille opposition qui, en quatorze ans, n’a jamais réussi à vaincre Orban et se présente désormais comme le véritable rival du premier ministre pour les prochaines élections législatives en 2026.
Comment Peter Magyar a t-il réussi à séduire ces milliers d’électeurs hongrois ?
Golden boy de la nouvelle génération, Péter Magyar a pu prospérer sur le champ de ruines qu’était devenue l’opposition et sur le désespoir de ses électeurs. Il a su exploiter la profonde lassitude d’une grande partie des Hongrois face au clan Orbán en leur adressant un simple message : un changement est possible. Le temps d’une élection, il a rallumé chez eux l’espoir dans un pays où tout semblait figé par l’omniprésence du Fidesz. Sa campagne a surtout redonné une bouffée d’oxygène démocratique dans cette Hongrie que ses dirigeants définissent eux-mêmes comme une « démocrature ».
A t-il les moyens de tenir politiquement face à Orban qui, à la tête de son gouvernement, contrôle le Parlement, les médias, la justice et bénéficie de financements publics quasi illimités ?
Au cours de cette campagne européenne qui se déroulait en même temps que les élections municipales, Peter Magyar a en tout cas démontré qu’il savait résister au dénigrement et à la propagande de très grande intensité mise en place par Orban avec l’aide des nombreux médias pro-gouvernementaux. Des milliers d’affiches à travers tout le pays l’ont montré comme un valet des dirigeants de Bruxelles. Il a été aussi accusé d’être « pro guerre » et de faire partie de la « gauche dollar » financée par le milliardaire hongrois George Soros, ennemi juré d’Orban. Plusieurs médias proches du gouvernement ont aussi relayé les accusations - non prouvées - de son ex-femme l’accusant de l’avoir battue. Comme tous les opposants, il a été interdit d’antenne sur les médias publics, mais il a réussi, pour la première fois, à imposer un débat télévisé en direct avec tous les candidats. Une révolution pour la télévision hongroise !
Que va t-il se passer jusqu’aux prochaines élections législatives de 2026 ?
Il est clair que depuis le 9 juin, la situation politique en Hongrie a radicalement changée. L’opposition actuelle qui a assisté impuissante à l’émergence du phénomène Magyar est désormais entièrement démonétisée. La bataille va se jouer entre Orban et Magyar. La question est de savoir si ce dernier va pouvoir fédérer un électorat venu, en partie, des rangs vieillissants du Fidesz et celui, plus jeune, qui se situe dans le camp de la gauche démocratique. Car, au-delà de sa dénonciation de la corruption du pouvoir en place, Magyar ne propose pas un programme économique trop différent de celui du Fidesz dont il est issu. Il est même en accord avec Orban pour ne pas livrer d’armes et de ne pas financer l’Ukraine. Selon l’évolution de la situation géopolitique, on risque donc d’assister à un affrontement entre une droite libérale-conservatrice et une droite nationaliste. L’avantage pour Magyar sera de pouvoir peaufiner son image de politique responsable au Parlement européen où il va rejoindre, sans doute, le groupe majoritaire du PPE face à un Viktor Orban quelque peu affaibli, toujours en guerre contre Bruxelles et qui sera très isolé dans le groupe des non-inscrits où il siège depuis l’exclusion du Fidesz du PPE, en 2021. Mais, on se doute que le camp Orban ne restera pas inactif et qu’il mettra en œuvre toute la machine gouvernementale pour se maintenir.
Viktor Orban a t-il pris acte de ce revers ?
Pas du tout. Le soir des résultats, sans jamais citer le nom de Peter Magyar, il s’est félicité de la victoire de son parti et du bon fonctionnement de la démocratie en Hongrie. Devant ses partisans, il a répété ses arguments de campagne sous forme de télégramme envoyé à Bruxelles : « Migration : Stop. Genre : Stop. Guerre : Stop. Soros : Stop. Bruxelles : Stop ».
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.