Cette semaine nous nous intéressons à Voodoo Jürgens.
Chapitre 1. De Tulln à Vienne, la musique au bout du chemin
David
Ölleler, plus connu sous le nom de Voodoo Jurgens, a émergé sous
ce pseudonyme en 2016 avec son titre Heite
Gross ma Tote aus. Mais
avant ce projet solo, il a passé des années en tant que leader du
groupe de punk-rock Die Eternias, qui a été actif en Autriche
autour des années 2010. Il est originaire de Tulln, une ville de
Basse Autriche près de Vienne, où il grandit dans un contexte
familial assez difficile. A ses 15 ans il quitte son domicile pour la
capitale et suit une formation de pâtissier, puis travail en
tant que jardinier de cimetière, avant de devenir musicien
professionnel.
Voodoo
Jürgens chante toujours en dialecte viennois. Une guitare pour
accompagner la voix, quelques rythmiques discrètes pour compléter,
et parfois des accompagnements de violons, de cuivre, d'accordéon ou
de piano.
C'est une folk éclectique qui puise dans la chanson viennoise, les sonorités balkaniques et le jazz. En Autriche, il est très reconnu dans le milieu musical : le magazine Musikexpress l'a décrit comme « l'avenir de l'Austro-Pop », et le magazine Interview l'a qualifié de « grand espoir de l'Austro-Pop ». Mais Voodoo Jürgens lui ne se reconnaît pas tellement dans ce qualificatif. Avec ses boucles ébouriffée, un peu mal coiffé, sa moustache, son style vintage et sa cigarette au coin des lèvres, le viennois d'une quarantaine d'année se voit plutôt comme un chanteur de bal, style cabaret, un peu à la Tom Waits. Parce que Voodoo Jürgens, c'est tout un personnage. Et en plus d'être musicien, c'est aussi un conteur...
Chapitre 2. Un conteur ou un chanteur ?
Vous
avez entendu, Voodoo Jürgens parle presque plus qu'il ne chante. Car
il n'est pas seulement chanteur, il est aussi poète et conteur. Il
raconte, pour le magazine Süddeutsche Zeitung : « Pour
moi, les paroles sont tout aussi importantes, sinon plus, que la
musique. C'est pourquoi l'instrumentation doit être économique,
une batterie réduite, pas d'autres fioritures non plus, idéalement
uniquement le chant et sa guitare. ».
Avec
sa musique, l'artiste raconte des histoires, plutôt réalistes
et sombres, et d'un quotidien souvent morne. Si Voodoo Jürgens est
un pseudonyme, il y a quand même beaucoup de l'artiste dans ce
personnage de scène. Beaucoup de ses morceaux ont même une
dimension autobiographique. Par exemple la chanson Zuckerbärcker
– pâtissier en français - est inspirée de ses années
d'apprentissage de ce métier. Et puis la chanson Tulln, nom
de la ville où il a grandit, raconte son enfance à l'école,
l'emprisonnement de son père, puis la réconciliation avec lui, et
son sentiment de marginalité qui l'a poursuivit toute sa jeunesse.
Chapitre 3. La voix des marginaux
Voodoo
Jürgens incarne bien le personnage un peu décalé. Il est la voix
des marginaux, de ceux qui sont méprisés et rejetés, qui ont des
difficultés à s'intégrer dans la société. Les inadaptés sociaux jouent presque toujours le rôle principal dans ses
chansons, et servent à montrer la folie ou l'absurdité du monde. Il
raconte dans une interview pour Auto Touring : « J'ai
toujours eu plus de sympathie pour les gens qui échouent dans la vie
que pour ceux qui tombent du côté du beurre. ».
Ses
histoires chantées, bien qu'elles décrivent les choses du
quotidien, des éléments de la vie en apparence banales, elles
visent aussi à critiquer la société, à remettre en question ou plus simplement à partager des récits que personne n'ose raconter
illustrer. C'est le cas par exemple de la chanson Stöckelschuach,
qui aborde le thème de la prostitution à Vienne, pour lever le
voile sur ce milieu, avec réalisme et sans hypocrisie.
Dans une interview pour le webmagazine Vice, à la la question « Voodoo Jürgens est-il politique ? » il répond : « Oui, bien sûr. On ne peut pas me mettre n'importe où ».
Ci-dessus la chanson 21 Eistee, est une critique des pratiques éducatives de ses années d'école, dont il garde de mauvais souvenirs. Angst haumsest une critique sur la façon dont les politiques et les médias jouent avec la peur des gens. Et puis Lassallestrasse concerne le marché du logement, qui devient de plus en plus cher et peu abordable pour toute une partie de la population.
Chapitre 4. De la scène à l'écran
Auteur,
compositeur, chanteur, conteur... et acteur ! En plus de la
musique, Voodoo Jürgens s'est aussi intéressé au monde du
spectacle et du cinéma. Quelques projets vidéos, comme le long
métrage Coffin Nail dans pour lequel il fait quelques apparitions et
a composé la musique. Puis dans des projets plus grands. En 2021 il
participe en tant qu'acteur et dans la bande son du film Biopic
Sargnagel – la voix d'une génération,
un film sur la poétesse Sophie Sargnagel, autrice et activiste
autrichienne. A la
même période il obtient le rôle principal pour le film Another
Coin for the Merry-go-Round,
qui sort en 2021.Un
film sur l'amitié, la passion pour la musique, et les adieux. Et
puis il travail en ce moment avec le réalisateur primé Adrian
Goinger pour le film Rickerl,
qui sortira durant l'année 2023. Il raconte l'histoire de
Erich Rickerl Bohacek, ses rêves de devenir célèbre tout en
essayant d'être un bon père pour son fils Dominik.
Voodoo
Jürgens raconte, pour le webmagazine Thegap : « Cela
m'aide quand je mets un personnage entre moi et le monde. ».
Apprécié pour son authenticité sur scène, Voodoo Jürgens, de son
vrai nom David Ölleler, est aussi doué pour jouer des rôles.
Chapitre 5. De nouveaux chemins musicaux
En décembre dernier, Voodoo Jürgens a présente son nouvel album, Wie die ocht noch jung vor, toujours dans le même esprit un peu rétro et partageant des histoires originales souvent assez pessimistes et tristes. En effet, pour présenter son album, le chanteur publie un single qui fait écho à ses années en tant que jardinier de cimetière : Heite gross ma Toten aus, en français « aujourd'hui nous déterrons les morts ». La chanson aborde la mort, l'éphémère et le vieillissement : "Aujourd'hui, nous sortons de notre coquille / Aujourd'hui, nous laissons nos enfants à la maison / Aujourd'hui, nous vomissons notre nourriture / Aujourd'hui, nous allons à un repas d'enterrement. "
Et puis le morceau Zuckerbäcker est, comme il a l'habitude de le faire, à dimension autobiographique : il revient sur sa formation de pâtissier. Mais à la différence de ses albums précédents, il explore plus l'aspect musical. Alors que celle-ci restait plutôt en retrait d'habitude, elle est cette fois-ci plus présente et plus éclectique. La chanson Twist a un petit côté fanfare. Es geht ma ned ei retrouve les racines rock indé et va vers la pop dans le refrain. Hoiber Pres et Zückerbarker nous emmène dans un cabaret. Et enfin pour conclure, Odessa, un titre uniquement instrumental, sans texte. 4 minutes avant la fin du disque, l'artiste quitte la scène, et laisse la place aux musiciens. Odessa sonne un peu comme une marche funèbre, avec les passages de saxophone mystérieux et profond du musicien ukrainien Andrej Prozorov , un musicien populaire sur la scène jazz européenne.
Une émission proposée par Mari le Diraison.