Chine - Europe : entre tensions et perspectives

Les accords commerciaux chinois : la Nouvelle Route de la Soie et l’Italie

© Le petit journal Les accords commerciaux chinois : la Nouvelle Route de la Soie et l’Italie
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Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.

Bonjour Elisa, aujourd’hui vous allez nous parler des relations entre l’Italie et la Chine et son impact à l’échelle européenne.

Bonjour Laurence, oui exactement.

Les relations sino-italiennes ont véritablement débuté dans les années 1990, lorsque l’Italie a tenté de jouer un rôle clé dans la normalisation des relations bilatérales entre la Chine et l’Union européenne. Cependant, ces efforts n’ont pas abouti à des résultats significatifs sur le plan commercial. Un tournant majeur s’est produit en 2001 avec l’entrée de la République populaire de Chine (RPC) dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), marquant une augmentation des échanges et un rapprochement progressif entre les deux pays.

Ce rapprochement s’est intensifié tout au long des années et un point marquant de ces relations est la signature de l’Italie pour l’accord relatif à la Nouvelle Route de la Soie (One Belt, One Road - OBOR) en 2019, une décision qui a suscité de nombreuses critiques au sein de l’Union européenne.

Et qu’est-ce que la Nouvelle Route de la Soie ?

Ce projet ambitieux, initié par le président chinois Xi Jinping, s’inspire des anciennes routes de la soie, qui avaient favorisé la diffusion des cultures et le transfert de savoir-faire entre les peuples. La OBOR vise à connecter plus de 68 pays via des réseaux ferroviaires et maritimes, regroupant 4,4 milliards d’habitants et représentant environ 40% du PIB mondial. L’objectif final annoncé est la modernisation et l’expansion économique de la Chine.

Cependant, cet accord comporte des risques importants pour les pays signataires. Les partenariats commerciaux proposés par la Chine s’avèrent souvent déséquilibrés en sa faveur, exposant les signataires à des dangers financiers considérables. Parmi ces risques figure le concept de « debt trap », où des nations endettées peinent à rembourser les prêts consentis par la Chine. Un exemple frappant est celui du Monténégro, qui, après avoir conclu un accord pour la construction d’autoroutes dans le cadre de l’initiative OBOR, n’a pas été en mesure de rembourser sa dette. En conséquence, le pays a été contraint de céder une partie de son contrôle économique à la Chine, qui peut alors imposer des choix stratégiques et économiques dictés par ses propres intérêts.

Et donc quel serait le lien avec l’Europe et l’Italie ?

Pour comprendre la décision de l’Italie de signer l’accord relatif à la Nouvelle Route de la Soie, il est essentiel de replacer cette démarche dans le contexte économique et politique du pays. L’Italie, fragilisée par des années d’instabilité politique et économique, a particulièrement souffert des répercussions de la crise financière de 2008. Cette situation a exacerbé le sentiment de marginalisation parmi les entreprises italiennes, qui perçoivent souvent l’Union européenne comme un acteur distant, incapable de répondre à leurs besoins spécifiques.

Un problème majeur réside dans l’absence d’une stratégie nationale cohérente et ambitieuse, capable de stimuler une croissance économique homogène et de projeter une image d’unité pour le pays. Face à ce vide laissé par le gouvernement italien et au manque d’investissements européens significatifs, l’accord chinois a été perçu comme une opportunité pour attirer des capitaux étrangers et revitaliser certains secteurs de l’économie italienne.

Ce choix stratégique n’est pas sans conséquences, et il suscite des inquiétudes majeures au sein de l’Union européenne. La crainte principale est qu’en multipliant les investissements en Italie dans le cadre de cet accord, la Chine acquière progressivement une influence économique prépondérante. Cela pourrait à terme devenir une menace politique à plusieurs niveaux. Si la Chine venait à exercer une influence considérable sur l’économie italienne, elle pourrait également peser sur les décisions européennes via son partenariat avec l’Italie, compromettant ainsi l’autonomie décisionnelle de l’UE.

Et pourquoi la Chine voudrait tout ce pouvoir ?

L’un des motifs principaux pour lequel la Chine voudrait influencer l’Union européenne, pourrait être lié aux jeux d’influence régionaux. En effet, ces derniers qui servent à avoir plus d’influence sur la scène internationale, entraînent la compétitivité entre les puissances majeures telles que les Etats-Unis et la Russie : la Chine possède déjà beaucoup d’influence en Asie du Sud, et cette influence sur l’UE pourrait l’aider s’imposer sur la scène internationale pour le pouvoir hégémonique détenu en ce moment par les Etats-Unis.

Et pourquoi l’Italie ou les pays voisins de l’Europe sont attirés par ces accords ?

Bien que les accords commerciaux et économiques chinois poursuivent des objectifs politiques souvent dissimulés, ils affichent une approche qui semble respecter la souveraineté des États signataires, offrant ainsi une apparente liberté dans leur mise en œuvre. En revanche, l’Union européenne impose des conditions strictes, exigeant des changements ou des réformes, qu’ils soient économiques ou politiques, de la part des États partenaires. Ces exigences incluent notamment le respect des critères de convergence et l’adoption de l’acquis communautaire. Un exemple en est la politique de voisinage, qui conditionne l’ouverture au marché intérieur européen à la mise en œuvre de réformes politiques.

Cependant, ces accords contraignants affaiblissent la compétitivité de l’Union européenne à l’échelle régionale et mettent en lumière les limites de sa diplomatie économique. Cette approche rigide a conduit à une perte d’influence de l’UE dans les Balkans, au profit de la Chine, et place désormais l’Union face à une menace interne, incarnée par l’Italie et son rapprochement avec la Chine.

Si je ne me trompe pas l’Italie n’a pas renouvelé l’accord sur la Nouvelle Route de la Soie.

Oui c’est vrai. En 2023, l’Italie, sous le gouvernement de Giorgia Meloni décide de ne pas renouveler cet accord, car jugé trop dangereux.

Et donc comment la Chine poursuit sa stratégie d’influence en Italie ?

La stratégie chinoise s'appuie sur une combinaison d'accords commerciaux et d'initiatives relevant du soft power, une approche subtile et efficace. L’accord OBOR prévoyait, en plus des relations commerciales, un renforcement des liens sino-italiens dans les domaines de la culture, de l’éducation et de la recherche. Ces aspects restent au cœur des relations bilatérales, même après le non-renouvellement de l’accord.

La Chine est le troisième plus grand contributeur en termes d’étudiants étrangers en Italie, et le premier parmi les étudiants asiatiques. En 2017-2018, les étudiants chinois représentaient 9% du total des étudiants étrangers en Italie, selon l’Istituto per gli Studi di Politica Internazionale (ISPI). La présence de 15 Instituts Confucius en Italie et d’un autre à Saint-Marin illustre l’engagement chinois dans la promotion de sa langue et de sa culture.

Par ailleurs, la Chine valorise le "Made in Italy", non seulement par l’importation de produits, mais aussi lors des événements dédiés. Par exemple, lors du Salon international du meuble de Milan, tenu en avril 2024, l’Institut de design Marangoni de Shenzhen a collaboré avec l’Institut Marangoni de Milan et la Shenzhen Furniture Design Week pour renforcer les liens entre les deux pays dans le domaine du design.

Une table ronde organisée pendant cet événement, en présence du consul général de Chine en Italie et d’autres responsables, a mis en avant la coopération institutionnelle, économique et commerciale entre les deux pays. Cette rencontre a conduit à la signature d’un mémorandum axé sur la protection des brevets et de la propriété intellectuelle, soulignant l’importance d’un cadre légal solide pour favoriser les échanges bilatéraux.

Que faut-il attendre de l'influence de la nouvelle route de la soie sur l'Italie ?

Giorgia Meloni n'a pas renouvelé l'accord en 2023, mais l'économie italienne souffre toujours d'un ralentissement, et la crise démographique n'arrange rien. En plus, elle se retrouve bien plus en porte-à-faux avec Ursula von der Leyen depuis l'élection européenne de 2024 que lors du premier mandat de la présidente de la Commission. Un nouveau rapprochement avec Xi Jinping n'est pas à exclure, si Meloni ne trouve pas son compte auprès de Donald Trump, ou si la participation de l'Italie à OBOR ne met pas en danger la relation privilégiée que la première ministre italienne a avec le nouveau président américain.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.