Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Bonjour Christine, aujourd’hui, contrairement à l’image qu’on a parfois des grands programmes de villes intelligentes comme Barcelone, Helsinki ou Amsterdam, vous vouliez mettre en lumière une collectivité d’une toute autre envergure : St Sulpice la Forêt, pourquoi ?
Vous le savez Laurence, j’habite en Bretagne, et c’est tout à fait un hasard, mais juste à coté de chez moi se trouve cette petite commune qui, comme son nom l’indique, se situe en bordure d’une très belle forêt. St Sulpice compte 1500 habitants et fait partie de l’agglomération de Rennes Métropole. Il y a déjà quelques années, elle s’est fait connaitre dans le petit milieu des villes intelligentes parce que son maire a engagé une démarche innovante et néanmoins très pragmatique, mais assez peu commune pour une collectivité de cette taille, qui plus est en zone rurale.
Voilà un pitch qui donne envie d’en savoir plus… De quoi s’agissait-il ?
Alors, du fait de sa taille cette commune compte seulement quelques bâtiments municipaux faciles à dénombrer. Ce sont la mairie, l’école, le gymnase, le centre culturel et le bâtiment des services techniques. Le maire actuel s’appelle Yann Huaumé, et il a été élu en 2014. Dès sa prise de fonction, il a constaté que la facture énergétique de ces bâtiments augmentait de 6% tous les ans. Dans un contexte où on parlait déjà de sobriété énergétique, et avec une vision de gestionnaire responsable, il a aussitôt décidé de mener une expérimentation, avec des entreprises locales de la région, pour tenter de maîtriser ces dépenses.
Et comment s’y sont-ils pris ? Ont-ils utilisé des équipements connectés comme ceux dont vous nous avez déjà parlé ?
C’est exactement le cas. Ils ont installé quelque 60 capteurs pour observer les bâtiments et récupérer des informations en temps réel sur les consommations d’eau, de gaz, d’électricité, de production photovoltaïque mais aussi sur la température, l’humidité, la luminosité, le bruit ou encore le taux de CO2 . Un équipement plutôt complet. Cela leur a permis d’observer le comportement des bâtiments et de mieux comprendre leur fonctionnement. Grâce à ça, ils ont pu détecter des fuites d’eau, ou des lumières qui restaient allumées tout le week-end dans l’école, et agir en conséquence. Puis, en analysant les données plus finement, ils ont aussi compris qu’on peut parfaitement éteindre le chauffage à 17h, même si le bâtiment reste occupé, car c’est l’inertie du bâtiment qui assure l’interim. Un réglage qui n’est pas très compliqué à programmer mais permet des économies substantielles.
Et justement, ont-ils pu mesurer ces économies et le retour sur leur investissement ?
Oui, et ils ont d’ailleurs largement partagé ces informations en espérant sensibiliser et inciter d’autres communes à engager la même démarche. Concrètement le dispositif initial représentait 20 000 euros, et dès 2018, donc en 2 ans, l’objectif de 25% de réduction des factures a été atteint, juste grâce à l’observation. Cela leur a permis également de mieux cibler leurs investissements futurs, en particulier au niveau de l’école qui constituait le poste énergétique le plus important et de poursuivre la démarche pour être encore plus performants.
C’est remarquable et cela parait si simple ! Et vous me disiez que ce ne sont pas les seuls effets positifs de la démarche ?
En effet, en travaillant sur la manière d’exploiter les données, ils ont pu les présenter de façon moins technique et plus pédagogique à destination des écoliers et de la population. Le but, c’est d’expliquer la démarche aux habitants et de les sensibiliser sur les enjeux du changement climatique. Et par la même occasion, pour le maire, d’affirmer son engagement politique en faveur des économies d’énergie et de la décarbonation… Et je peux vous dire qu’il a été très facilement réélu à la mandature suivante !
Et puis, cerise sur le gâteau, en 2016, au classement des villes intelligentes, St Sulpice est montée sur le podium aux cotés de Tokyo et Dubaï. Je ne sais pas vous, mais moi je trouve ça plutôt classe !
C’est une belle histoire en effet. Avec votre regard d’experte, quels enseignements tirez-vous de cette initiative ?
Je suis absolument fan ! Je tenais vraiment à vous parler de St Sulpice la Foret qui illustre ma conviction que la smart city n’est pas l’apanage des grandes cités. C’est un exemple qui montre qu’il n’est pas nécessaire de faire des grands plans très compliqués et ambitieux pour mettre en œuvre des solutions intelligentes. Et quand je dis « intelligentes », il faut entendre « qui exploitent le meilleur de la technologie, de la donnée et du numérique, et qui sont utiles, de manière très concrète ». C’est valable à toutes les échelles, même les plus petites. Du moment qu’on a une volonté politique et une vision pragmatique des choses, le retour sur investissement se fait à plein de niveaux. J’aimerais vraiment qu’il y ait des St Sulpice un peu partout en Europe. Et d’ailleurs, si nos auditeurs en connaissent, qu’ils n’hésitent pas à nous les signaler…
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.