La semainière de Quentin Dickinson

Des valeurs démocratiques à la mort de Dolly- Quentin Dickinson

Des valeurs démocratiques à la mort de Dolly- Quentin Dickinson

Alors, avez-vous passé une bonne semaine ?

En fait, j’ai cette fois-ci bien du mal à répondre à cette question, pourtant rituelle : car c’est la semaine pendant laquelle, chaque année, chacun d’entre nous passe en revue les événements du millésime écoulé, en se demandant lesquels resteront sans descendance, et lesquels se poursuivront comme si de rien n’était.

Et, à l’aube de 2023, nombreux sont justement ces derniers, qui n’auront respecté aucune fête de saison ni trêve des confiseurs et qui, pour le bien ou pour le malheur du genre humain, continuent à tailler leur route.

À quoi pensez-vous précisément ?

Sans aucun doute l’Europe n’a-t-elle pas démérité, loin de là, en 2022 : la lutte contre le dérèglement climatique et ses effets prend enfin corps ; l’UE, qui n’avait aucune compétence en matière de santé publique jusqu’à la pandémie de COVID, occupe désormais très utilement ce créneau ; le respect des valeurs démocratiques et de l’état de droit, sur lesquelles l’Union européenne est fondée, est désormais fermement affirmé face à la dérive autoritaire en Hongrie ; et longtemps plus ou moins volontairement négligée, la coopération en matière de défense s’est organisée face à la guerre à nos portes – et tout cela, assurément, n’est pas rien.

Mais toutes les nouvelles ne sont pas aussi bonnes ?

Vous avez raison. Dans un monde où les lamentables jérémiades d’un prince anglais, écervelé et irresponsable, occupent davantage la une des gazettes et des réseaux sociaux que le martyre de la population ukrainienne, où les ferments d’une révolution en Iran, où l’embarrassante paralysie parlementaire à WASHINGTON, alors que se rejoue au Brésil la prise d’assaut trumpienne du Congrès des États-Unis – les sujets d’inquiétude et d’indignation ne manquent pas.

Plus près de nous, les affaires de corruption au sein du Parlement européen continueront à prendre de l’ampleur, au fur et à mesure que le juge d’instruction bruxellois étendra le champ de ses investigations. On notera à cet égard le nuage d’hypocrisie qui flotte ici au-dessus de l’eurobulle, les uns feignant l’étonnement, les autres affirmant que tout cela fait partie des usages condamnables mais connus de longue date. Tant de candeur et tant de cynisme simultanément peuvent surprendre – même les observateurs aguerris.

Le début de l’année, c’est aussi automatiquement un changement à la tête du Conseil de l’Union européenne ?

Plus connu (enfin, c’est relatif) sous le nom de Conseil des ministres (pour éviter la confusion avec le Conseil européen, où siègent les chefs d’État et de gouvernement, aussi appelé Sommet), cet organe décisionnaire regroupe les ministres des Vingt-sept pays-membres, par compétence : finances, agriculture, transports, etc… 

Tous les six mois, la présidence en tourne selon un ordre précis, qui est celui de l’ordre alphabétique de la lettre initiale du nom de chaque État dans sa langue officielle – en fait, c’est un peu plus compliqué que cela, et on peut en parler à une autre occasion si cela vous intéresse. Toujours est-il qu’à la présidence exercée par les Tchèques au second semestre de 2022 succède celle des Suédois pour ce premier semestre de 2023.

On imagine que chaque présidence a ses priorités ?

Il n’y a pas si longtemps, elles publiaient encore un impressionnant catalogue de nobles intentions, lesquelles, drossées par l’actualité, finissaient, six mois après, n’avoir qu’un rapport très éloigné avec la réalité. 

Parce que six mois, c’est très court, aujourd’hui, les priorités affichées sont celles en rapport direct avec les dossiers hérités des prédécesseurs et que l’on tentera du mieux que l’on peut de faire progresser, avant de les transmettre à la présidence suivante.

Et vous m’avez soufflé que vous vouliez conclure sur une affaire tragique ?...

C’est cela. Il y a peu, près de la riante localité de BURGDORF-BEINHORN en Basse-Saxe, un loup affamé s’est introduit dans une écurie à l’orée d’une forêt, là où se reposait un cheval, titulaire de nombreux prix de dressage. 

A peine le temps de se présenter (l’équidé répondait au doux nom de Dolly ; le loup était classé sous le matricule GW 950 par les services vétérinaires allemands – GW, comme Großer Wolf, Gros Loup), à peine le temps de se présenter donc, que GW 950 avait dévoré la pauvre Dolly.

Cette fin imméritée en serait restée à l’état de fait-divers local, si Dolly n’avait pas été la monture préférée d’Ursula von der LEYEN, cavalière émérite et  accessoirement Présidente de la Commission européenne. Personne ne s’étonnera donc que ladite Commission européenne se soit immédiatement mise au travail pour proposer de limiter le nombre de loups dans l’UE. Les autorités allemandes ont mis à prix la tête du loup, qui n’en était pas à son premier repas improvisé dans la région. En attendant, GW 950 court toujours.

Entretien réalisé par Cécile Dauguet.