Bienvenue dans cette édition de « L’Europe au plus près » où nous suivons, chaque semaine, l’actualité des différentes institutions de l’Union européenne.
Cette semaine intéressons nous à la défense de l’indépendance des médias en Europe. À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé, dimanche 27 février, à prendre de nouvelles sanctions contre le régime de Vladimir Poutine. Une déclaration suivie peu après par le Conseil de l’Union européenne, qui a adopté de nouvelles mesures restrictives à l’encontre des médias de propagande russes.
Mardi 1er mars, un nouveau règlement a été adopté par le Conseil de l’Union européenne . Ce dernier restreint l’accès des principaux médias contrôlés par l’Etat russe, dont Russia Today et Sputnik, à l’espace médiatique européen. En effet, Russia Today est une chaîne de télévision d’information en continu créée en 2005 et entièrement financée par l’Etat russe. Son objectif avoué est de fournir une vision alternative de l’actualité et de la Russie. Une mission que partage l’agence de presse internationale Sputnik, lancée par le gouvernement russe en 2014, et également visée par la décision du Conseil de l’UE.
Des restrictions d’accès à l’espace médiatique européen, déjà mises en place par certains Etats membres.
Le mercredi 2 février, le régulateur allemand des médias a annoncé la suspension de la diffusion par satellite de la chaîne Russia Today. Une décision contestée par la directrice de la chaîne, Margarita Simonian, qui assure sur Twitter que Russia Today “ne cessera pas de diffuser”. Cependant, depuis le 27 février, l’ensemble des régulateurs européens des médias, réunis au sein de l’ERGA, se sont collectivement engagés à suspendre l’accès des médias de propagande russes. Ce groupe, créé par la Commission européenne en 2014, a pour objectif d’harmoniser les politiques publiques du paysage audiovisuel européen.
Une interdiction de diffusion entrée en vigueur le 2 mars dernier, que conteste la filiale française de Russia Today, implantée dans le pays depuis décembre 2017. La chaîne d’information russe a à ce titre introduit mardi dernier, un recours devant la justice européenne, afin de faire annuler l’interdiction de diffusion imposée par l’UE.
Effectivement, le mardi 8 mars, la filiale de Russia Today installée en France, a introduit un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. La chaîne demande l’examen en urgence de l’affaire. Ce qui pourrait prendre quelques semaines, voire quelques mois si cette requête est jugée recevable par la CJUE.
La présidente de la filiale française, Xenia Fedorova, a contesté la validité légale d’une telle interdiction de la part de l’UE, allant jusqu’à parler d’une “violation de l’Etat de droit”.
Oui car l’UE ne possède normalement pas la compétence requise pour influer sur le paysage audiovisuel de ses Etats membres. Pourtant, comme l’explique Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur : “Il s’agit d’une mesure [...] fondée sur un règlement du Conseil adopté en 2014 par les États membres concernant les mesures restrictives à l’encontre de la Russie.». Ce règlement, adopté au moment de l’annexion de la Crimée par la Russie, cible d’ores et déjà plusieurs rédacteurs en chef des filiales de Russia Today en Europe.
Une suspension de diffusion qui étonne également les syndicats de journalistes français, qui s’inquiètent du précédent créé par cette mesure.
En effet, car si depuis son arrivée en France en 2017 la chaîne russe a suscité bon nombre d’interrogations, elle a néanmoins obtenu son renouvellement de convention auprès du CSA en décembre 2020. A ce titre, le règlement adopté par le Conseil est contesté, et pas seulement par le média russe. Emmanuel Vire, secrétaire général du syndicat national des journalistes s’interroge : “Pourquoi cela s’arrêterait à Russia Today ? [...] On est dans une démocratie, on ne ferme pas une chaîne comme ça.” Pourtant, l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, stipule que le respect de la liberté d’expression par les Etats membres n’exclut pas de soumettre les entreprises de radiodiffusion à “des devoirs et des responsabilités”.
La décision du Conseil de suspendre les chaînes de propagande Russia Today et Sputnik pourrait néanmoins servir le discours liberticide de certains Etats membres.
En Pologne notamment, le 10 août 2021, le Parlement polonais, a voté une loi sur l’audiovisuel qui limite fortement l’acquisition de médias polonais par des entités non européennes. Officiellement le gouvernement souhaite empêcher la Russie et la Chine d’étendre leur influence dans le pays. Néanmoins, la chaîne d’information indépendante TVN24, propriété du groupe américain Discovery, est particulièrement visée en raison de ses prises de position jugées trop critiques à l’égard du PiS, le parti ultraconservateur au pouvoir depuis 2015. La décision du Conseil de l’Union, d’interdire la diffusion de médias de propagande russes, pourrait donc constituer un précédent avantageux pour le gouvernement polonais, qui souhaite restreindre la diffusion de certains médias étrangers et indépendants.
Le gouvernement polonais est régulièrement épinglé par la Cour de justice de l’Union européenne, en raison de ses manquements à l’Etat de droit. Des condamnations qui n’incluent pour l’instant pas la protection du pluralisme médiatique.
Effectivement, le bras de fer permanent entre Varsovie et Bruxelles est fortement lié à la définition même de l’État de droit. Aujourd’hui, le mécanisme de condamnation retenu par la CJUE, n’intègre pas le pluralisme des médias dans sa définition de l’Etat de droit. Ainsi la dernière décision de la CJUE concernant la Pologne qui date du 27 octobre 2021, astreint la Pologne à une amende journalière d’un million d’euros pour avoir tenté de réduire l’indépendance de sa justice. Une sanction destinée à protéger l’Etat de droit dans le pays, mais qui possède un angle mort : la protection des médias. Pour rappel, depuis l’arrivée du PiS au pouvoir, la Pologne a reculé de 46 places au classement Reporter Sans Frontières de la liberté de la presse.
Juliane Barboni - Thomas Kox