Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Confrontations Europe a récemment publié un article de sa vice-présidente, Anne Bucher, consacré au financement européen de la santé.
Alors que s’ouvrent les premières consultations sur le prochain Cadre Financier Pluriannuel, celui qui couvrira la période post-2027, une question s’impose : quelle place accorder à la santé dans le budget de l’Union ?
Entre les leçons de la pandémie de Covid-19, les fortes contraintes budgétaires et des attentes citoyennes de plus en plus visibles, cette tribune interroge : l’Europe est-elle prête à faire de la santé une véritable priorité stratégique ?
Dans cet épisode, on explore ces enjeux… et les pistes concrètes qu’Anne Bucher propose pour construire une véritable souveraineté sanitaire européenne.
L’Union européenne est-elle en mesure de développer une véritable politique de santé commune ?
La réponse est nuancée. Sur le plan juridique, la santé reste une compétence nationale, ce qui limite l’intervention directe de l’UE dans le financement des systèmes de soins. Pourtant, depuis la crise du Covid-19, on assiste à un tournant : l’Union a multiplié les initiatives dans le domaine de la santé, créant des agences comme HERA (chargée des urgences sanitaires), renforçant l’ECDC (Centre de prévention des maladies), et dotant le programme EU4Health de moyens sans précédent (4,4 milliards d’euros).
Au total, sur la période 2021-2027, l’UE investit environ 23 milliards d’euros dans la santé, via différents instruments (EU4Health, Horizon Europe, fonds structurels…). Cela montre une volonté croissante d’agir, mais ce financement reste inférieur aux besoins : il ne représente qu’une petite fraction des dépenses nécessaires pour structurer des systèmes de santé résilients.
L’UE a donc amorcé un mouvement. Mais elle ne développe pas encore une véritable stratégie de santé intégrée à l’échelle continentale. Cela tient à ses compétences limitées… mais aussi à un manque de lisibilité et de coordination des fonds existants.
Que faut-il changer dans la manière dont l’UE finance la santé ?
Il existe un manque de transparence et de stratégie dans les financements actuels. Les investissements sont éparpillés entre plusieurs programmes, sans réelle coordination ni évaluation de leur impact.
Plutôt que de rêver à un grand programme unique, Anne Bucher propose une autre piste plus réaliste : rendre visibles les dépenses de santé dans tous les programmes européens. Cela signifie reconnaître que la santé est une dimension transversale : elle concerne la sécurité (notamment sanitaire), la compétitivité (industrie pharmaceutique), l’environnement (santé publique) et même la prospérité économique.
Autre priorité : consolider les acquis post-Covid, notamment EU4Health et les actions de recherche médicale, pour atteindre un budget santé minimal de 14 milliards d’euros sur la période 2028-2034. Cette somme permettrait de soutenir ce qu’Anne Bucher appelle les « biens communs européens » de santé : prévention des pandémies, production de médicaments, lutte contre les pénuries, recherche, données de santé. À l’heure où l’Union prépare son prochain cadre budgétaire, il est essentiel de ne pas reléguer la santé au second plan. L’Europe ne pourra être résiliente, compétitive et solidaire que si elle place la santé au cœur de son projet politique.
Comment mieux associer les États membres aux réformes de santé soutenues par l’UE ?
L’exemple le plus convaincant cité par Anne Bucher est celui de la Facilité pour la relance et la résilience (FRR). Dans le cadre du plan de relance post-Covid, cette facilité a permis de mobiliser 37 milliards d’euros pour des réformes sanitaires nationales. Ce modèle a deux avantages majeurs : il implique directement les ministères de la santé des États membres dans la programmation, et il conditionne les financements à des engagements de réforme, comme la lutte contre les déserts médicaux ou la transformation numérique des hôpitaux.
Ce mécanisme a apporté une meilleure visibilité à la contribution européenne et une certaine cohérence stratégique. Il pourrait servir de modèle pour les programmes futurs.
Mais pour aller plus loin, l’UE doit se doter d’un cadre commun d’évaluation des systèmes de santé, basé sur des indicateurs partagés (prévention, égalité d’accès, santé mentale, vieillissement…). Ce cadre, en discussion au sein du Conseil EPSCO, permettrait non seulement de piloter les financements, mais aussi d’améliorer les politiques de santé à l’échelle européenne.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.