Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Le 15 septembre dernier, Confrontations Europe publiait un entretien avec Nicolas Véron, chercheur senior à Bruegel et au Peterson Institute, spécialisé dans les systèmes financiers, mené par Olivier Marty, conseiller économique de Confrontations Europe.
Durant cet entretien portant sur l’Union de l’épargne et de l’investissement, Nicolas Véron défend l’idée d’une réforme profonde de l’Autorité européenne des marchés financiers, l’ESMA. Cette autorité européenne indépendante a pour objectif de protéger les investisseurs, assurer le bon fonctionnement des marchés financiers et préserver la stabilité financière au sein de l’Union européenne.
Pourquoi l’ESMA devrait-elle être réformée selon Nicolas Véron ?
Pour lui, la réalisation de l’Union de l’épargne et de l’investissement passe nécessairement par une surveillance des marchés financiers harmonisée au niveau européen. Actuellement, l’ESMA supervise la surveillance des marchés mais ce sont surtout les autorités nationales, telles que l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, en France, qui surveillent le fonctionnement des marchés financiers dans chaque Etat membre. Or, les autorités nationales et européennes poursuivent des objectifs différents. Les autorités nationales défendent avant tout un marché national, alors que les autorités européennes envisagent nécessairement un marché européen intégré.
Selon Nicolas Véron, les autorités nationales sont amenées à disparaître au profit d’une ESMA renforcée, dotée de bureaux nationaux afin d’appréhender au mieux les acteurs et pratiques de marché partout en Europe. L’ESMA reprendrait l’ensemble des mandats des autorités nationales actuelles.
Quelles seraient les étapes d’une telle réforme ?
Nicolas Véron envisage les choses à moyen terme, sur une période de 10 ans. Cette décision, d’une portée politique importante, reviendrait nécessairement aux chefs d’Etat et de gouvernement, donc au plus haut niveau. L’UE pourrait alors adopter un règlement réformant la gouvernance et le financement de l’ESMA. Ces étapes pourraient tout à fait être adoptées d’ici la fin de la législature en cours, en 2029.
Durant la législature suivante, l’adoption de règlements sectoriels par l’UE permettrait progressivement le transfert des mandats de surveillance des autorités nationales vers l’ESMA, segment de marché par segment de marché. Cette période de transition, très technique, pourrait courir jusqu’à la fin de la prochaine législature, soit en 2034. Cette période serait également pour l’ESMA le moment d’augmenter ses effectifs, à la fois à son siège à Paris et dans les futurs bureaux nationaux. Cette hausse devrait être considérable : entre 10 et 20 fois plus d’employés qu’aujourd’hui.
Cette proposition est-elle en accord avec les positions politiques actuelles ?
Nicolas Véron assure qu’il est consensuel d’affirmer que le système n’est actuellement pas en mesure de répondre aux objectifs de l’UE en termes d’investissement, de marché unique et d’autonomie stratégique. Si la Commission européenne est restée très prudente en mars dernier s’agissant de la supervision des marchés financiers, elle ne ferme pas pour autant la porte à une réforme profonde de l’ESMA.
En parallèle, les autres alternatives pour réaliser l’Union de l’épargne et de l’investissement qui pourraient être impactantes sont généralement bien moins consensuelles politiquement au niveau européen, par exemple s’agissant d’une harmonisation des systèmes de retraite ou de la fiscalité des investissements. Nicolas Véron défend en parallèle plusieurs politiques européennes qui pourraient montrer la voie à cette réforme profonde de l’ESMA. C’est par exemple le cas de la mise en place de l’Anti-Money Laundering Authority, l’AMLA, instaurée il y a un an et ayant pour but la surveillance anti-blanchiment au niveau européen.
Nicolas Véron défend l’intégration de la surveillance des marchés de capitaux comme prioritaire dans le cadre de l’Union de l’épargne et de l’investissement, et cette réforme de l’ESMA apparaît selon lui comme le moyen le plus sûr d’y parvenir. Il reconnaît néanmoins qu’à moyen terme, la priorité demeure l’achèvement de l’union bancaire.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.