Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Dans la revue n°139 de Confrontations Europe, l’Irlandaise Emily O’Reilly s’est exprimée à propos du rôle du médiateur européen comme protecteur des valeurs européennes. Ce rôle a considérablement changé sous l’effet des crises majeures telles que le Brexit, la pandémie de covid-19, la crise de la zone euro et l’invasion de l’Ukraine. Cette transformation est principalement due à l’évolution de la Commission européenne, qui est passée d’une “ Commission très politique” sous Juncker à une “Commission géopolitique” sous Von der Leyen, modifiant ainsi en profondeur le champ d’action du Médiateur européen.
Quel est le rôle du Médiateur européen ?
Le Médiateur européen est un organe indépendant chargé de protéger le droit des citoyens européens à une bonne administration. Étant une institution de “soft power”, le Médiateur européen mène des enquêtes et traite des plaintes. Il n’a pas le pouvoir de résoudre ni d’atténuer les tensions entre l’exigence de réactivité face à un problème urgent et la protection des droits fondamentaux. Malgré des compétences qui peuvent sembler limitées, le Médiateur européen joue un rôle essentiel : il rappelle à l’Union européenne que les décisions politiques majeures doivent être prises dans un cadre de discussion publique. Ce rôle contribue, à sa manière, à préserver la légitimité démocratique de l’Union.
Quels ont été les principaux défis du mandat d’Emily O’Reilly ?
Emily O’Reilly était médiatrice européenne depuis 2013 et vient tout juste de terminer son mandat. Elle a donc une succession de crises qui ont demandé des réponses dans l’urgence qu’il fallait tout de même surveiller du point de vue démocratique. Ces réponses sortaient du cadre administratif habituel que ses services surveillaient. Cela concerne par exemple les achats de défense, les sanctions à l’encontre de la Russie, la distribution des fonds de relance et de résilience aux États-membres et l’achat de vaccins lors de la pandémie ou encore la question épineuse des accords de gestion migratoire conclus avec des États tiers.
En effet, des critiques ont été émises à l’encontre de ces accords qui ne respecteraient pas suffisamment le droit des personnes migrantes. Qu’en est-il réellement ?
Il existe un risque que la manière dont ces types d’accords sont conclus privilégie des résultats rapides au détriment des valeurs fondamentales. En contournant les contraintes des règles et processus habituels de l’UE, nous risquons de contourner aussi les contraintes morales et éthiques qui définissent notre identité en tant qu’Européens. La confrontation entre démocraties et autocraties est l’une des failles significatives de notre époque géopolitique. Nous devons éviter de répondre aux crises internationales d’une manière qui sape également nos valeurs démocratiques.
Mais que peut fait le Médiateur européen dans ce cas ?
Un exemple notable est le protocole d’accord entre l’Union européenne et la Tunisie à propos de la gestion du flux migratoire. Cet accord, visant à empêcher les migrants d’entrer sur le territoire européen, aurait dû suivre une procédure de négociation formelle. L'absence de consultation a suscité de vives critiques, notamment de certains députés européens, et a provoqué des interrogations sur le respect des droits fondamentaux des migrants. Bien que la Commission ait effectué une évaluation d’impact, l’auteur déplore l’absence d’une évaluation formelle, essentielle pour renforcer la transparence, la publicité et l’efficacité des mesures préventives. Par conséquent, le bureau du Médiateur européen a pris des mesures complémentaires telles que la publication d’un résumé de la gestion des risques et de critères précis pour bloquer le financement de projets contraires aux droits humains.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.