Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Dans sa dernière revue, Confrontations Europe a donné la parole aux Danois Ditte Brasso Sørensen et Emmanuel Molding Nielsen à propos de l’agenda vert européen. Celui-ci est influencé par les années de gestion de crises auxquels l’UE a été confronté et par le contexte géopolitique incertain. Ces évènements vont façonner le volet industriel du Pacte vert de la Commission européenne.
Dans quelle mesure la stratégie de la Commission européenne permet - elle à l’UE de progresser vers son objectif de transition verte, tout en répondant aux défis multiples et aux incertitudes géopolitiques ?
L’approche de la Commission européenne repose sur trois piliers majeurs : la loi sur l’industrie “ zéro net”, les biotechnologies et l’objectif climatique de 2040.
Le premier pilier se concentre sur le développement des technologies propres, en encourageant les investissements et en simplifiant l’accès au marché. Quel est l’objectif ? L’idée est d’aider l’Union européenne à atteindre ses objectifs climatiques et énergétiques pour 2030 et à réaliser la transition vers la neutralité climatique en 2050, tout en créant des emplois et en renforçant son indépendance énergétique
Le deuxième pilier, consacré aux biotechnologies, met en avant leur rôle crucial face aux défis sociétaux et environnementaux. Ces technologies permettent de moderniser des secteurs importants comme l’agriculture et l’industrie. La Commission européenne a proposé une série de mesures dont un plan de recherche pour évaluer la position de l’UE par rapport à ses concurrents mondiaux, visant à renforcer sa résilience et sa compétitivité.
Enfin, la Commission s’est fixé un objectif climatique ambitieux d’ici 2040 : réduire les émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 90 %. Pour atteindre ce but, la Commission élaborera une nouvelle version du Pacte vert européen axée sur une transition juste et une compétitivité durable. Ces priorités, réaffirmées en 2023, tiennent compte des impacts des transformations sur les économies et sociétés.
Comment l’UE peut-elle faire face à la concurrence croissante de la Chine et des Etats-Unis en matière d’industrie verte ?
La décarbonisation est désormais un enjeu compétitif majeur. Avec la loi sur la réduction de l’inflation de l’administration Biden et le soutien de la Chine aux technologies vertes, l’UE rencontre des difficultés à rivaliser, en particulier face au régime de crédits d’impôts mis en place par les Etats-Unis pour les technologies vertes.
En réponse à cette pression concurrentielle, l’Union européenne a mis en place une politique industrielle verticale, reposant sur une approche interventionniste. Elle mise également sur la loi sur l’industrie “zéro net” et la récente communication sur les biotechnologies, visant à simplifier le cadre normatif et à encourager les financements dans les productions.
Malgré ces dispositifs, les Etats-Unis et la Chine ont pris de l’avance dans cette course aux technologies vertes au détriment de l’UE. Deux raisons peuvent expliquer ce retard. D’une part, on peut expliquer cette situation en partie par le fait qu’il n’y a pas, au sein de l’Union européenne, un système d’incitation fiscale comparable à celui des Etats-Unis. D’autre part, le Pacte vert européen de 2019 considère que d’importants investissements sont essentiels pour atteindre ses objectifs, mais se borne à mettre en œuvre des actions modestes pour diminuer les risques liés à l’investissement privé dans ce but.
Comment la notion de "compétitivité durable" est-elle devenue une préoccupation centrale pour la sécurité économique de l'UE ?
L’invasion de la Russie en Ukraine et les tensions géopolitiques ont révélé des risques trop longtemps sous-estimés. Malgré les progrès de l’Union européenne, notamment sur ses chaînes d’approvisionnements, ces événements ont exposé son manque de préparation face aux nouveaux défis. Par exemple, la pandémie de covid a relancé les débats autour de la résilience des sources d’approvisionnements et des dépendances stratégiques.
Face à ces enjeux, l’Union européenne renforce ses efforts. Le Pacte vert européen met l’accent sur l’approvisionnements en matériaux stratégiques pour les technologies propres, tandis qu’une recommandation de la Commission pour 2040 souligne la diversification des chaînes d’approvisionnements. Comme le souligne Tobias Gehrke , cette stratégie lie compétitivité et sécurité économique avec un focus sur l’innovation et la production de technologie stratégique, essentielles pour garantir une compétitivité durable.
Quel est l’avenir de l’agenda vert européen dans le contexte de cette course effrénée aux technologies propres ?
En 2040, la Commission souhaite devenir le “leader mondial “ et partenaire fiable dans la lutte contre le changement climatique. Cela permettrait de préserver son “autonomie stratégique”, diversifier ses chaînes de valeur et de garantir les moyens de façonner son avenir dans un monde incertain.
Cette logique prévalait déjà en matière de sécurité énergétique mais elle doit s’étendre à d’autres secteurs, en particulier la sécurité économique. Cela se traduit par l’identification de dix domaines de technologies tels que les semi-conducteurs avancés, la fabrication et les technologies de recyclage. En ce sens, cela constitue un levier important pour renforcer la compétitivité durable en vue d’atteindre le “zéro net“.
Par ailleurs, le Pacte vert ne se limite pas seulement à la décarbonisation mais il constitue également un instrument juridique qui vise à encourager une croissance verte, tout en favorisant l’innovation et une transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement.
A l’avenir, l’agenda vert européen sera davantage marqué par une politique industrielle verticale et par le contexte de cette compétition mondiale aux technologies propres. Dans ce contexte, la crise Covid et l’invasion de la Russie en Ukraine ont accéléré ce processus qui répond désormais plus à une logique de sécurité économique. Ainsi, l’objectif ne se limite plus à atteindre le “zéro net” mais il s’étend également à la garantie d’une compétitivité durable.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.