Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Quels sont les objectifs fondamentaux du Pacte Vert européen et comment s'articulent-ils avec les enjeux de sécurité économique ?
Ce Pacte repose sur trois objectifs principaux distincts : la décarbonisation, la transition juste et la compétitivité durable.
Le premier objectif, la décarbonisation, se fixe comme ambition de rendre l’Europe climatiquement neutre d’ici 2050. Cela exige une réduction massive des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs économiques, y compris l'industrie lourde, les transports et la production d'énergie.
Le deuxième pilier, la transition juste, vise à assurer que cette transformation verte profite à tous, sans aggraver les inégalités sociales ou régionales. Enfin, l'objectif de compétitivité durable est directement lié à la nécessité de rendre l'Union moins dépendante des importations d'énergies fossiles et de technologies critiques. C’est ici que le Plan industriel du Pacte Vert prend tout son sens. Il vise à stimuler l'innovation dans les technologies vertes, à simplifier les règles relatives aux aides d'État pour attirer des investissements, et à renforcer la production industrielle verte en Europe. Cette initiative répond aux défis posés par des concurrents comme les États-Unis, qui, avec l'Inflation Reduction Act (IRA), offrent des subventions massives à leurs industries vertes, et la Chine, qui s'affirme comme un leader mondial dans les technologies renouvelables.
Comment le Pacte Vert européen envisage-t-il la transition juste et quelle est son importance pour l'acceptabilité sociale des réformes écologiques ?
Le concept de transition juste reconnaît que la transition écologique, bien que nécessaire pour atteindre la neutralité carbone, risque d’entraîner des déséquilibres économiques et sociaux si elle n’est pas accompagnée de mesures adéquates.
Pour répondre à ces défis, le Fonds pour une transition juste de l’UE finance des programmes de reconversion professionnelle, de soutien à l’emploi, ainsi que des investissements dans de nouvelles industries vertes, notamment les énergies renouvelables. Par exemple, des régions comme la Silésie en Pologne, fortement dépendantes du charbon, pourront bénéficier d’aides pour diversifier leur économie vers des industries plus durables.
Mais l’importance de la transition juste dépasse les simples enjeux économiques. Elle est cruciale pour assurer l'acceptabilité sociale des réformes écologiques. Pour prévenir des mouvements de contestation, l’Union renforce les dialogues sociaux en associant syndicats, entreprises et collectivités locales dans l’élaboration des politiques de transition.
Quels sont les défis auxquels l'Union doit faire face pour mettre en œuvre le Pacte Vert, en particulier en ce qui concerne la compétitivité industrielle ?
Les défis pour la mise en œuvre du Pacte sont nombreux et complexes, notamment face à une concurrence internationale accrue. L'Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis, qui propose des subventions massives pour stimuler les industries vertes, menace de détourner des investissements de l'Europe vers l'Amérique du Nord. De même, la Chine, avec son leadership en matière d'énergies renouvelables et de batteries, exerce une pression concurrentielle croissante sur les entreprises européennes.
Un autre défi majeur pour l’UE est sa dépendance vis-à-vis des matières premières critiques, telles que le lithium, le cobalt ou les terres rares, indispensables à la production de technologies vertes. Le Critical Raw Materials Act, récemment proposé par la Commission européenne, vise à diversifier les sources d'approvisionnement, à encourager le recyclage et à développer des capacités minières et de raffinage au sein de l’UE. Toutefois, cette transition prendra du temps.
En parallèle, l’Union doit faire face à des tensions internes entre États membres. Des pays comme la Pologne, encore fortement dépendants des combustibles fossiles, sont réticents à accélérer la transition, tandis que d’autres, plus avancés dans la transformation verte, appellent à des réformes plus rapides.
Enfin, la question des financements reste cruciale.
Quelles perspectives pour l'avenir du Pacte Vert européen dans le contexte de la politique climatique mondiale ?
Le succès du Pacte repose largement sur la capacité de l’Union à accélérer ses investissements dans les technologies vertes. Les secteurs des énergies renouvelables, des batteries et de l'hydrogène devront bénéficier de soutiens publics significatifs pour combler le retard face à des concurrents comme les États-Unis et la Chine. En outre, les partenariats internationaux seront essentiels pour garantir une transition énergétique mondiale inclusive. L’Europe cherche à renforcer ses liens avec des pays comme l'Inde ou les nations africaines, non seulement pour diversifier ses chaînes d'approvisionnement, mais aussi pour soutenir les transitions énergétiques dans ces régions.
Sur le plan interne, une coordination étroite entre les États membres sera nécessaire pour éviter les disparités régionales et garantir une approche harmonisée des défis climatiques. L’Europe devra transformer sa dépendance en puissance, en réduisant son recours aux technologies et matières premières externes, tout en construisant une industrie verte et souveraine.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.