Échos d'Europe

Kahila et le sans-abrisme

Photo de MART  PRODUCTION - Pexels Kahila et le sans-abrisme
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Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Confrontations Europe a publié un article dans notre revue intitulée « Comment mieux lutter contre le sans-abrisme en Europe ? », rédigé par Juha Kahila, Directeur des affaires internationales chez Y-Säätiö, un important propriétaire foncier finlandais qui milite activement pour le logement abordable. Il y partage l'expérience de la Finlande, qui a mis en place l'une des stratégies les plus efficaces en Europe pour lutter contre le sans-abrisme.

Quelle est la situation du sans-abrisme en Europe ?

Le sans-abrisme, comme la pénurie de logements abordables, est un problème structurel qui prend de l’ampleur un peu partout en Europe. Aujourd’hui, ça touche des profils très variés : des jeunes, des familles, des personnes âgées, des migrants, mais aussi des travailleurs dont les revenus ne permettent plus de se loger correctement. Ce n’est plus un phénomène marginal, et il progresse dans de nombreux pays.

Ce n’est d’ailleurs pas spécifique à l’Europe. Selon un rapport de l’OCDE publié en 2019, le nombre de personnes sans domicile a augmenté de près d’un tiers dans l’ensemble des pays de l’OCDE ces dernières années. C’est une tendance assez généralisée.

En Europe, les dernières données disponibles viennent du rapport « 8 regards sur le mal-logement en Europe 2023 », publié par la Fondation Abbé Pierre (devenue Fondation pour le Logement des Défavorisés) et la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abris (FEANTSA). On y apprend qu’au moins 895 000 personnes sont en situation de sans-abrisme sur le continent. Ce chiffre est probablement en dessous de la réalité, puisque dans plusieurs pays, il n’y a ni recensement officiel, ni définition uniforme de ce qu’est une situation de sans-abrisme.

Dans l’Union européenne, la France affiche le taux le plus élevé, avec environ 30 personnes sans abri pour 10 000 habitants, suivie par la République tchèque, l’Allemagne et l’Irlande.

Enfin, il faut garder en tête que ne pas avoir de logement stable, c’est aussi avoir plus de difficultés à accéder à des services essentiels comme la santé, l’emploi ou la formation. Le logement reste un point d’ancrage central pour pouvoir se stabiliser dans la société.

Mais quels sont les facteurs qui alimentent cette situation ?

Le sans-abrisme ne tombe pas du ciel. Il est la conséquence d’un enchevêtrement de facteurs économiques, sociaux et institutionnels.

D’un côté, on a des facteurs structurels : flambée des loyers, précarité de l’emploi, inégalités territoriales, coupes dans les aides sociales. De l’autre, il y a des facteurs individuels, comme des problèmes de santé mentale, des ruptures familiales, ou encore des parcours de vie cabossés.

Mais il faut insister sur un point : dans la grande majorité des cas, ce sont les failles du système qui précipitent les gens à la rue, bien plus que leurs choix personnels. Par exemple, selon une tribune publiée dans Le Monde en avril 2024, environ un quart des personnes sans-abri en France sont issues de l'Aide sociale à l'enfance (ASE). C’est donc aussi une question de politique publique et de prévention.

Est-ce du ressort de l’Union européenne ?

La question mérite d’être posée, car le logement ne figure pas explicitement dans les compétences de l’Union. Pourtant, ces dernières années, les choses évoluent.

En juin 2021, la Déclaration de la plateforme européenne de lutte contre le sans-abrisme a marqué un tournant. C’est la première fois que les institutions européennes, les États membres et les acteurs de terrain s’engagent ensemble à éradiquer le sans-abrisme d’ici 2030.

Cette plateforme, appelée EPOCH, ne crée pas de législation contraignante, mais elle facilite le partage de bonnes pratiques, le financement de projets innovants via les fonds européens, et met la pression sur les gouvernements pour qu’ils agissent. C’est un levier politique, mais aussi moral.

En parallèle, des outils comme le semestre européen ou le Fonds social européen+ peuvent être mobilisés pour soutenir les politiques nationales de logement et d’inclusion.

L’UE n’est donc peut-être pas à la manœuvre directe, mais elle peut jouer un rôle d’impulsion et de coordination.

Que pouvons-nous apprendre des pays comme la Finlande ?

Là où la France est à 30 personnes sans-abris pour 10 000 habitants, la Finlande est à 6 sans-abris pour 10 000 habitants soit 5 fois moins. La Finlande a en effet mis en place une approche radicalement différente appelée « Housing First », ou « logement d’abord ». Contrairement aux approches dites « en escalier », où il fallait d’abord stabiliser une personne avant de la loger, ici, le logement est la première étape. On donne immédiatement un toit à la personne, puis on l’accompagne selon ses besoins.

Et cela fonctionne, puisque depuis la mise en place de cette politique, le nombre de sans-abri a diminué de moitié. La Finlande a même fermé certains centres d’hébergement d’urgence, car la demande a chuté. Cela montre que les politiques publiques peuvent inverser la tendance, à condition qu’elles soient bien pensées et financées.

Mais cette réussite repose sur plusieurs piliers : une forte coordination intersectorielle, des investissements dans le logement social, et une volonté politique constante, au niveau national et local. Il ne s’agit pas seulement de réagir à l’urgence, mais de transformer durablement le système. Mais pour cela, il faut changer de paradigme : arrêter de voir le logement comme une récompense, et le considérer comme un droit fondamental.

Aujourd’hui encore, selon Eurostat, plus de 19 millions de personnes en Europe vivent dans des conditions de privation sévère liée au logement. Et ce chiffre pourrait croître dans le contexte de l’inflation, de la crise énergétique et de la hausse des loyers.

Merci pour votre écoute, et n’hésitez pas à lire l’article complet de Juha Kahila dans notre revue Confrontations Europe. À très bientôt !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.