Échos d'Europe

Accord de Turnberry : analyse et décryptage

Photo de Guillaume Périgois sur Unsplash Accord de Turnberry : analyse et décryptage
Photo de Guillaume Périgois sur Unsplash

Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Le 30 juillet dernier, Confrontations Europe publiait une interview exclusive de Jean-Luc Demarty, ancien Directeur général du Commerce à la Commission européenne.

L’objet de leur discussion ? La signature très médiatisée, et pour le moins controversée, de l’accord de Turnberry, conclu le 27 juillet en Écosse entre les États-Unis et l’Union européenne. Un accord qui semble aller vers une fin de l’escalade tarifaire, mais acte aussi des concessions majeures de la part de l’Union européenne. Parmi elles : l'engagement de ne pas riposter aux droits de douane américains de 15 % … et l’obligation d'importer massivement de l’énergie venue d’outre-Atlantique.

Alors que la Commission européenne s’en félicite officiellement, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer un déséquilibre préoccupant. Jean-Luc Demarty, lui, parle d’un signal d’alerte sur la fragilité stratégique de l’UE face à la pression commerciale américaine.

L’UE aurait-elle dû adopter une posture plus ferme dès le départ pour préserver sa crédibilité commerciale ?

Selon Jean‑Luc Demarty, la réponse est clairement oui.

L’Union européenne a sciemment refusé d’entrer dans un rapport de force frontal avec les États-Unis, contrairement à la Chine, qui avait pourtant obtenu des reculs importants de Donald Trump grâce à des contre-sanctions rapides et massives.

L’Europe, elle, a choisi la voie du compromis sans montrer ses muscles. Or, comme le rappelle l’ancien haut fonctionnaire : « Si tu veux la paix, prépare la guerre. » Il déplore que l’UE n’ait pas activé immédiatement son nouvel instrument anti-coercition, ni préparé un véritable paquet de sanctions.

À la place, elle a suspendu ses rétorsions pendant la négociation, donnant le sentiment qu’elle voulait un accord à tout prix. C’est une erreur stratégique de base : quand on renonce à afficher sa capacité de nuisance, on se prive d’effet de levier. L’UE a donc perdu la bataille avant même d’avoir commencé à la mener.

L’accord de Turnberry porte-t-il atteinte à l’image géopolitique de l’UE comme acteur de poids ?

Jean‑Luc Demarty est catégorique : les conséquences géopolitiques de cet accord sont désastreuses.

En acceptant un texte déséquilibré, sans garanties de réciprocité solides, l’Union européenne envoie au monde un signal de faiblesse. Elle montre qu’elle peut céder sous la pression, sans riposte, même quand ses intérêts fondamentaux sont en jeu.

Cela affaiblit la position de l’UE dans d’autres négociations internationales, notamment les accords de libre-échange en cours.

Enfin, cet accord ne constitue même pas une étape vers un partenariat plus ambitieux : ce n’est ni une avancée vers un traité transatlantique, ni une victoire diplomatique. C’est un accord politique flou, sans cadre juridique solide. L’UE apparaît aujourd’hui comme un acteur économique majeur, mais un acteur stratégique mineur.

Comment éviter à l’avenir de tels déséquilibres sans paralyser la diplomatie commerciale européenne ?

Pour Jean-Luc Demarty, l’UE doit réapprendre à négocier avec des acteurs durs, comme Donald Trump, en combinant fermeté et stratégie.

D’abord, elle doit être prête à déclencher des mesures de rétorsion dès la première menace, même pendant une négociation. C’est ce qu’elle aurait dû faire dès le 12 juillet, quand Trump a menacé de droits de douane à 30 %.

Ensuite, il faut préparer en amont un arsenal crédible, chiffré et réaliste, afin que les partenaires sachent à quoi s’attendre. Ce n’est pas être belliqueux, c’est être sérieux.

Enfin, lorsqu’un accord se profile, il faut obtenir des contreparties précises : exemptions tarifaires sur des produits clés, garantie de traitement équitable, et clauses vérifiables.

Jean-Luc Demarty insiste sur un point central : la crédibilité de l’Union ne repose pas seulement sur ses valeurs, mais aussi sur sa capacité à se faire respecter. Le droit international est un outil, pas un bouclier magique.

À travers cette conversation, Jean‑Luc Demarty invite à une vraie prise de conscience stratégique : l’Europe ne peut plus compter sur des alliances stables ni sur la bonne foi de ses partenaires. Elle doit s’équiper, se muscler, se coordonner, si elle veut peser dans un monde de plus en plus brutal.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.