Chaque semaine sur euradio, retrouvez Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee, qui traite les sujets et les actualités de la finance.
De quoi allons-nous parler aujourd’hui ?
Je vous propose de parler de la mort annoncée du LIBOR, ou du London Inter Bank Offer Rate, un indice de référence jusqu’alors très utilisé dans les marchés financiers.
Si on en parle, c’est que cet indice a dû être important dans le passé. Quand et comment est-il apparu ?
La naissance du LIBOR est assez remarquable. Nous sommes en 1969 et la banque centrale iranienne cherche à emprunter 80 millions de Dollars, une somme considérable à l’époque. Minos Zombanakis, le banquier iranien identifie un syndicat de banques, chacune prête à avancer une partie de la somme. Mais à quel taux d’intérêt ? L’inflation était élevée et les taux volatils. La solution de Zombanakis était très élégante : à chaque fin de période, chaque banque rapporterait son coût d’emprunt. Le taux d’intérêt dû sur l’emprunt iranien serait alors la moyenne des coûts d’emprunts des banques, plus un écart de taux prédéterminé. Cette moyenne des coûts d’emprunt des banques est devenue le LIBOR.
Et l'usage de cette moyenne a décollé ?
Oui, tout à fait. L’indice a été adopté de plus en plus fréquemment. En 1982, les prêts indexés sur le LIBOR ont atteint 46 milliards de Dollars. Puis son usage s’est étendu aux emprunts immobiliers, aux cartes de crédit et aux dérivés. En 2012 les contrats financiers indexés sur le LIBOR dépassaient 550 trilliards de Dollars en valeur. Plus de 7 fois le Produit National Brut mondial !
C’est gigantesque. Qu’est-ce qui a fait que la situation change aussi radicalement ?
Un scandale tout aussi gigantesque. En 2012 il s’est avéré que des banques, des courtiers et des traders avaient manipulé le niveau du LIBOR depuis des années. Cela a donné lieu à des amendes records, des arrestations et, sans surprise, une perte de confiance dans cette référence la plus utilisée au monde.
Est-ce la seule raison de son déclin ?
Non, il y a également une raison structurelle. La fragilité du LIBOR a été mise à la lumière lors de la crise financière de 2008. Lors de cette crise bancaire, les banques ne se faisaient plus confiance. Et ont donc cessé de se prêter de l’argent. Le marché interbancaire s’est asséché et il était impossible de mesurer les coûts de financements des banques, afin d’en tirer une moyenne. Impossible donc de calculer le LIBOR.
Pourquoi avons-nous attendu aussi longtemps pour remplacer cet indice manipulable et fragile ?
D’abord parce qu’il fallait inventer de nouveaux indices qui puissent remplacer le LIBOR pour tout contrat financier à taux variable. Ensuite parce qu’il a fallu créer l’infrastructure technique et informatique pour échanger et observer les centaines de trilliards de contrats à taux variables. Et enfin parce qu’il a fallu renégocier tous les contrats indexés sur le LIBOR et dont l’échéance dépasse juin 2023.
Une solution de remplacement a été identifiée ?
Oui, non sans mal. En Dollars, il s’agira du SOFR ou Secured Overnight Financing Rate et en Euro du EuroSTR ou Euro short term rate. Ce que ces indices de remplacement ont en commun est qu’ils sont fondés sur les taux d’intérêt enregistrés dans des transactions réelles et non pas sur l’opinion de quelques banquier·es, qui peuvent avoir de nombreux conflits d’intérêts.
Le mot de la fin ?
L’inventeur du LIBOR, Minos Zombanakis, est récemment décédé. Mais en 2016 il a déclaré qu’à son époque, “il avait pris pour acquis que des gentlemen n’essaieraient pas de manipuler son indice. Mais avec l’explosion du marché qu’il a aidé à créer, il n’était plus possible de faire confiance. Il y avait tout simplement trop d’argent en jeu."
Entretien réalisé par Laurence Aubron.