L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

COP29 à Bakou : une COP pour rien ?

Photo de Markus Spiske - Pexels COP29 à Bakou : une COP pour rien ?
Photo de Markus Spiske - Pexels

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Aujourd’hui vous souhaitez nous parler de la COP29 qui s’est ouverte lundi en Azerbaïdjan. Les élections américaines vont-elles avoir un impact sur ce grand évènement international ?

La réélection de Donald Trump est effectivement dans les esprits de tous les dirigeants présents à Bakou cette semaine. Toutefois, ce sont encore les représentants de l’administration Biden qui sont présents pendant les négociations sur un nouvel accord climatique. Et la position américaine est assez constante sur ces enjeux-là, notamment en ce qui concerne le sujet principal de cette COP : c’est-à-dire l’augmentation des financements des pays développés vers les pays en développement. En somme, les pays du Sud exigent des pays du Nord qu’ils augmentent leur dotation à leur égard afin de les aider dans leur transition énergétique. Or, qu’il s’agisse des Américains ou des Européens, l’accroissement des financements dans un contexte de crise interne est très difficile à imaginer aujourd’hui.

Beaucoup d’observateurs, notamment en Europe, critiquent et appellent, au boycott de cette COP, puisque l’Azerbaïdjan est un pays très contesté.

Oui, il y a plusieurs éléments à prendre en compte. Tout d’abord l’Azerbaïdjan est un des pays exportateurs d’hydrocarbures le plus important au monde. 90 % des recettes d’exportation du pays viennent des hydrocarbures, pétrole et gaz, et ils représentent 30 à 50 % de leur PIB. On surnomme même l’Azerbaïdjan la « Terre de feu » pour faire référence aux immenses flammes qui jaillissent de ses champs pétro gaziers. Donc c’est un pays qui ne renoncera pas à ses hydrocarbures, en dépit des engagements dans le cadre des Accords de Paris. Et c’est la troisième COP d’affilée qui s’organise dans un pays exportateur de pétrole : après l’Égypte et les Émirats Arabes Unis. Une des raisons tient dans le véto mis par Vladimir Poutine vis-à-vis de l’organisation de la COP dans un pays européen. Il s’y était formellement opposé. Donc les pays du Sud qui sont les moins avancés en termes d’engagement climatique sont largement mis en avant désormais dans l’organisation des COP. Donc beaucoup s’interrogent aujourd’hui en Occident sur la crédibilité des pays hôtes en matière de transition. D’autant que l’Azerbaïdjan, contrairement aux Émirats, n’a pas effectué un travail de préparation de la COP très poussé.

Le conflit avec l’Arménie suscite aussi l’indignation de beaucoup d’Occidentaux. Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé qu’il ne se rendrait pas à Bakou pour la COP.

Oui, rappelons-nous que l’invasion militaire du Haut-Karabagh et le déplacement de plus de 120 000 Arméniens, c’était il y a à peine un an. La communauté internationale n’avait rien pu faire pour empêcher le Président Azéri d’envahir cette république séparatiste et d’en chasser ses habitants. La France qui est un allié et un soutien de la cause arménienne avait condamné cette offensive. Les relations avec l’Azerbaïdjan était donc déjà très tendue. Et au printemps, la France a révélé l’implication de l’Azerbaïdjan dans les troubles en Nouvelle-Calédonie et les tentatives d’ingérence. Donc les relations se sont encore plus complexifiées, ce qui explique l’absence du Président français.

Est-ce que cette COP peut aboutir à des engagements climatiques vraiment ambitieux ?

C’est très peu probable. Pas seulement parce que le pays hôte est lui-même peu engagé ou sensibilisé à ces enjeux, mais aussi parce que la tendance internationale n’est pas bonne. Les crises géopolitiques multiples ont une incidence sur les négociations climatiques. Lorsque l’Accord de Paris est signé en 2015, la situation n’est pas la même que 10 ans plus tard. Aujourd’hui, la crise sanitaire est passée par là, les zones de conflits se multiplient, les tensions s’accroissent entre les grands acteurs géopolitiques. Les pays du Sud font face à des problématiques de surendettement, les pays du Nord aussi d’ailleurs. Même en Europe le climat n’est plus la priorité. Les enjeux de compétitivité et de réindustrialisation ont repris le dessus en raison des conséquences du Covid et de la guerre en Ukraine. Il y a donc une vraie question qui entoure le financement de la transition écologique.

Justement, qui paye le plus pour la transition aujourd’hui ?

Sans conteste les Etats-Unis et l’Union européenne. Mais la Chine contribue aussi de manière indirecte. C’est-à-dire qu’elle ne participe pas à l’enveloppe annuelle des 100 milliards de dollars des Nations Unies, mais elle contribue largement via des accords bilatéraux. Les Accords de Paris prévoyaient une clause de revoyure au bout de 10 ans. On y est. A Bakou, les dirigeants doivent présenter leur feuille de route pour les 10 prochaines années. Or, il est fort probable que les ambitions soient revues à la baisse vu le contexte internationale. Mais la vraie question qui se pose aujourd’hui c’est sur la raison d’être même des COP. La crise du multilatéralisme qui touche toutes les organisations internationales n’épargne pas les COP. Si les premières ont eu beaucoup de succès et d’impact, on se demande aujourd’hui si on a pas atteint les limites du modèle. Beaucoup se passe maintenant en bilatéral ou au niveau des coopérations régionales, ce qui fait sens dans un ordre international de plus en plus fracturé. Il y a sans doute quelque chose à réinventer.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.