L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Que peut-on attendre de l’année 2024 ? Partie 1

@Christian Lue sur Unsplash Que peut-on attendre de l’année 2024 ? Partie 1
@Christian Lue sur Unsplash

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Dans vos deux prochaines chroniques, vous souhaitez faire un peu de prospective et identifier les principaux enjeux de l’année 2024. On imagine qu’ils sont nombreux.

Oui c’est le moins qu’on puisse dire. Mais ils l’ont toujours été. La grande différence aujourd’hui c’est que l’Occident n’est plus autant en position de force qu’il l’a été depuis des décennies. L’enjeu principal pour les Occidentaux, et notamment pour les Européens, c’est de parvenir à un consensus rapide sur les priorités stratégiques et la hiérarchisation des menaces. Or, aujourd’hui, force est de constater qu’on semble un peu perdu face à l’ampleur des défis : le retour des guerres régionales (l’Ukraine et le Proche-Orient bien sûr, mais aussi l’Arménie et le Haut-Karabagh, le Yémen et la mer Rouge, la mer de Chine et ses territoires contestés, le entre les deux Corées, etc.). Il y a aussi le regain dans la course à l’armement, notamment nucléaire : la Chine annonce doubler ses capacités en 2030 quand la Russie a suspendu sa participation au traité d’interdiction des essais nucléaires. Sans oublier, la succession des coups d’états en Afrique, les défis de l’intelligence artificielle, les besoins de réindustrialisation et de relocalisation, le défi climatique. Et j’en passe.

Face à tout cela, comment hiérarchiser ? Comment choisir ce qui est prioritaire ?

C’est malheureusement impossible car tout est imbriqué. La guerre entre Israël et le Hamas a des conséquences dans le monde entier, du Liban voisin aux universités américaines. La guerre en Ukraine également puisqu’elle divise les États européens, entre les partisans d’un soutien sans faille et ceux, de plus en plus nombreux, qui souhaiteraient ouvrir la voie à des négociations avec la Russie. Les enjeux liés à l’IA et aux technologies soulèvent à fois des questions éthiques et en termes d’industrialisation, de compétences, de formations, d’emplois, de souveraineté. L’enjeu climatique est lui aussi présent dans toutes les discussions, directement ou indirectement, et concerne désormais l’ensemble des politiques publiques et des secteurs stratégiques comme l’énergie. Bref, tout est lié. Donc on peut difficilement choisir un combat et se concentrer sur une région du monde, sur un type de conflit ou un domaine de priorités. Lorsque les États-Unis ont tenté de faire ce virage et ont voulu se tourner presque exclusivement vers l’Asie et l’Indopacifique, ils ont très vite été rattrapés par la réalité, et dans le cas présent, par la Russie.

Alors quelle stratégie peut-on encore adopter ?

Déjà il faut être d’accord sur le constat. Si certains semblent encore dans le déni, les États sont de plus en plus nombreux à voir la réalité en face : si l’Occident, et principalement l’Europe, ne change pas rapidement son attitude, son positionnement et sa stratégie, c’est le déclassement qui nous guette. Et il a déjà commencé. Les États dits du Sud global se désolidarisent de plus en plus ouvertement et sans honte ou embarras des Occidentaux. C’est le cas dans la guerre en Ukraine ou les États qui appliquent des sanctions à la Russie sont très minoritaires. C’est aussi le cas dans la guerre au Proche-Orient. Donc si on parle de stratégie, ça commence par regarder le monde de manière objective et voir que le statut d’acteur privilégié dont les Occidentaux se prévalaient jusqu’à présent commence à vaciller et qu’il est aujourd’hui sérieusement menacé.

Et une fois que ce constat est partagé, comment faire pour inverser la tendance ?

En ce qui concerne les Européens, je dirais qu’il y a deux mots clés qu’ils doivent enfin intérioriser : souveraineté et solidarité. Ce sont des concepts qu’on emploi un peu à tort et à travers, et chacun en a une définition particulière. La souveraineté d’abord, c’est (pour faire très simple) la capacité de pouvoir imposer à autrui ses opinions : Pour ça, ça implique de créer un vrai rapport de force. Or, aujourd’hui, dans nombre de nos relations commerciales et politiques, le rapport de force n’est pas à l’avantage des Européens. On le voit dans nos relations avec la Chine ou les États-Unis par exemple. Pourquoi ? Et bien parce que pour créer un vrai rapport de force et acquérir une crédibilité sur la scène internationale suffisante pour nous faire respecter et pour avoir de l’influence sur les affaires du monde, il faut faire preuve de solidarité. Et c’est là que le bât blesse souvent en Europe.

Nous ne sommes pas assez solidaires entre Européens ?

Non. Beaucoup font cavaliers seuls, comme l’Allemagne sur les questions énergétiques et son utilisation frénétique du charbon, ou la Pologne qui ne concède à acheter que des armes américaines ou sud coréennes. La France, quant à elle, adopte souvent une position de surplomb qui est très mal perçue par ses voisins et qui nous décrédibilise souvent. On voudrait que les Polonais et les Allemands achètent nos armes, sans avoir à repenser notre modèle d’industrie de l’armement qui est certes qualitatif, mais aussi extrêmement long et couteux. Bref, les États jouent trop souvent les uns contre les autres. Or, lorsqu’ils sont au pied du mur, les Européens ont déjà montré qu’ils étaient capables d’une solidarité hors norme, elle-même facteur de souveraineté. C’était le cas en 2020 lors de l’achat commun de vaccins et du plan de relance inédit. Aujourd’hui, il faut que les Européens prennent conscience que nous sommes à nouveau dos au mur : il faut un sursaut pour activer pleinement les ressorts de la solidarité européenne, condition sine qua non de notre souveraineté collective.