Chaque semaine, Jacob Ross chercheur au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), revient pour nous sur les liens qui unissent la France et l'Allemagne.
La condamnation de Marine Le Pen secoue la politique française. Comment la situation est-elle perçue en Allemagne ?
Il est impressionnant de constater l’attention que cette condamnation a suscité dans l’opinion publique allemande. Après le début de la phase finale des négociations de la coalition, qui devrait aboutir à la formation d’un nouveau gouvernement, l’actualité allemande est déjà rythmée par des fuites et des spéculations sur la composition du futur gouvernement fédéral, et les noms des futurs ministres.
Et pourtant, le nom Le Pen était sur toutes les lèvres en ce début d’avril. La présidente du Rassemblement National fascine l’opinion publique à Berlin, parce qu’il semble dorénavant peu probable qu’elle puisse se présenter en tant que candidate aux élections présidentielles de 2027.
Rappelons que le scénario d’une victoire de Marine Le Pen inquiétait beaucoup en Allemagne car son parti s’est souvent attaqué à l’influence soi-disant démesurée de Berlin dans l’Union européenne, ainsi qu’à la coopération bilatérale entre la France et l’Allemagne. Sa condamnation apparaît donc comme rassurante dans l’opinion publique.
Au-delà des réactions à cette condamnation, comment ce jugement a-t-il été perçu en Allemagne ?
Les réponses varient fortement en fonctions des différents partis et citoyens. Les représentants des partis en passe de former le nouveau gouvernement — la CDU/CSU et le SPD — y voient la preuve que l’État de droit français est efficace et ne fait pas de différence entre citoyen ordinaire et personnage politique. Un autre groupe voit dans ce jugement un rappel à la politique et à la justice, et exige une attitude plus ferme contre les populistes de droite en Allemagne, en particulier l’Alternative für Deutschland (AfD). Les adversaires de l’AfD réclament depuis de nombreuses années l’interdiction du parti, celui-ci n’étant parfois qu’à un seul point d’écart dans les sondages avec d’autres partis conservateurs.
L’opinion de l’AfD, parti sympathisant et allié du Rassemblement National, est bien plus virulent concernent cette condamnation. Beaucoup disent voir dans ce jugement la preuve d’une injustice politique, qui condamne pour des opinions contraires au parti en place. L’AfD fait alors des parallèles avec la Roumanie, où un candidat à la présidence avait été exclu des élections, et comparent cette situation à celle des États-Unis, où Trump, malgré des procédures engagées contre lui, a finalement remporté les élections.
Il est aussi intéressant de noter que de nombreux avis sont mitigés au sein de l’AfD : certains membres condamnent le jugement, mais affirment pour autant ne pas soutenir Le Pen.
Pourquoi le succès de Marine Le Pen n’inspire-t-il pas davantage les nationalistes et populistes de droite en Europe ?
Beaucoup se souviennent de l’humiliation infligée à l’AfD par Marine Le Pen l’année dernière. Après une déclaration controversée de Maximilian Krah, tête de liste de l’AfD aux élections européennes, sur les SS, Le Pen a pris ses distances avec les nationalistes allemands, bien que la présidente du parti, Alice Weidel, se soit justifiée auprès du Rassemblement National. Marine Le Pen a donc une mauvaise réputation auprès de nombreux nationalistes de droite en Allemagne, qui lui reprochent par ailleurs son « embourgeoisement » pour arriver au pouvoir.
Ces réactions au jugement prononcé contre Marine Le Pen montre une fois de plus à quel point il est important de différencier nationalistes et populistes de droite en Europe. Tous ces partis partagent certes le sentiment d’être rejetés par les élites en place, cependant, ils ne partagent pas grand chose d’un point de vue politique. Ils entretiennent des historiographies qui fonctionnent pour leur public nationaliste, mais qui compliquent considérablement les échanges internationaux. Le fait que la droite persiste en Allemagne suscite beaucoup de méfiance en France, en particulier chez les nationalistes.
La condamnation prononcée à l’égard de Marine Le Pen semble donc montrer que le soutien d’un nationaliste envers un autre est souvent ponctuel et opportuniste.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
