Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Vendredi dernier, le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont allés à Kiev pour rencontrer le président Zelensky et discuter des suites de la guerre et du processus d’adhésion à l’Union européenne. Est-ce que ce sommet est plus qu’un symbole ?
Il faut d’abord rappeler que ce sommet UE-Ukraine n’est pas le premier. C’est le 24e sommet. Mais c’est le premier qui a lieu depuis le début de la guerre en Ukraine. Donc oui il y a une part de symbolique très importante. Le message envoyé c’est que l’UE ne se laisse pas intimider par l’agression russe et poursuit l’approfondissement de ses relations avec Kiev. C’est d’autant plus symbolique que le sommet intervient quelques jours après l’annonce d’envoi de nouveaux chars de combat par les Occidentaux, notamment les Allemands qui y étaient réticents jusque-là.
Au-delà du symbole, quels étaient les enjeux de ce sommet ?
L’enjeu le plus important c’était bien sur les suites données au processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE. Depuis qu’elle a obtenu le statut de pays candidat en juin dernier, le Président Ukrainien ne cesse de demander d’accélérer encore le processus, avec une mise en garde répétée : ils ne veulent pas connaître le même sort que les pays des Balkans qui sont toujours dans l’antichambre de l’UE, des années après le début des négociations d’adhésion. Le deuxième enjeu concerne la réponse de l'UE à la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine, notamment le volet des sanctions. La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, avait ouvert la voie à un nouveau paquet de sanctions contre Moscou, tout en disant que les sanctions déjà votées fonctionnaient plutôt bien et qu’elles avaient fait reculer l’économie russe. Et puis il y avait trois autres enjeux de ce sommet qui concernent l’après-guerre : le volet judiciaire et notamment la création d’un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre et le crime d’agression ; le volet économique sur la reconstruction du pays, notamment ses infrastructures énergétiques ; et enfin le volet de la sécurité alimentaire mondiale puisque l’Ukraine dispose de ressources importantes en blé.
Sur la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, qu’est-ce qui est ressorti du sommet ?
L’Union européenne a réaffirmé son soutien à l’adhésion, mais personne n’a encore déterminé de calendrier précis. Pourtant, c’est justement ce que demandaient les représentants du gouvernement ukrainien. Certains réclamaient même une adhésion accélérée, dès 2025 ou 2026. Bien sûr, cette hypothèse n’est absolument pas réaliste et, même si les processus ont déjà été accélérés, ils ne peuvent pas non plus être écourtés autant que le demandent les Ukrainiens. C’est un enjeu de crédibilité pour l’UE. Donc les institutions européennes se sont engagées à continuer d’accompagner les Ukrainiens dans leurs transformations internes, notamment sur les enjeux de lutte contre la corruption et de développement économique. Mais il faut déjà rappeler que l’Ukraine fait déjà partie intégrante de plusieurs programmes européens, dont Euratom, Fiscalis, Horizon et l’union douanière.
Comment expliquer que les officiels européens n’aient pas encore pu arrêter un calendrier pour l’adhésion ?
Il y a plusieurs raisons. La première est juridique : la procédure d’adhésion est inscrite dans les traités. Donc si on veut la changer, il faut changer les traités. On sait bien que c’est un sujet compliqué au niveau européen. La seconde raison, c’est une question d’équité ou d’égalité de traitement avec les autres pays candidats. Pourquoi accélérer la procédure pour l’un d’entre eux seulement ? Comment l’expliquer à tous ceux qui attendent déjà depuis des années, voire des décennies pour certains ? Et puis l’adhésion de l’Ukraine à l’UE pose un enjeu de taille : de par sa taille et son poids démographique, il y a un risque de déséquilibre au sein des instances européennes. Donc il faut du temps pour aménager le fonctionnement et la gouvernance européenne à une telle adhésion. Rappelons-nous que, lorsqu’il a été question de faire adhérer les pays d’Europe centrale, à la chute de l’URSS, l’UE a d’abord dû réformer son système interne, par le traité d’Amsterdam en 97, puis celui de Nice en 2001. Le processus d’adhésion à l’UE n’implique pas uniquement des efforts de la part du pays candidat, mais de tout l’ensemble européen. Il ne faut pas minimiser l’ampleur et les enjeux d’une telle adhésion. D’où le besoin de prendre le temps.
Mais les Ukrainiens disent que le temps justement, ils ne l’ont pas car ils sont en guerre. Comment réagir face à un tel discours qu’on ne peut que comprendre ?
La demande est absolument légitime. Mais l’Union européenne est une instance politique de premier ordre qui est fragile aujourd’hui. Elle ne peut pas risquer de précipiter une adhésion d’un nouveau membre au risque de se voir fragiliser davantage. Ça, personne n’y a intérêt, surtout pas les Ukrainiens. Donc même si c’est difficile à entendre dans un tel contexte, la décision de prendre le temps de faire les choses bien est la bonne. D’autant que les États membres sont encore loin d’être alignés sur cette question : les Pays Baltes et la Pologne poussent dans le sens d’une adhésion accélérée, ce qui s’explique par leur proximité géographique et leur histoire commune vis-à-vis de la Russie avec l’Ukraine ; mais d’autres pays sont plus réticents, notamment l’Allemagne et les Pays-Bas. Et la France qui n’a pas encore de position arrêtée sur la question, mais qui continue de promouvoir son idée d’une communauté politique européenne qui comprendrait les pays candidats dans une architecture de coopération commune.
La question de l’adhésion de l’Ukraine pourra-t-elle se régler tant qu’une paix n’aura pas été instaurée ?
Non, c’est difficile à envisager. En tout état de cause, la question de l’adhésion de l’Ukraine ne pourra pas être réglée avant qu’on sache précisément de quelle Ukraine il s’agit : une Ukraine qui aura retrouvé la totalité de son territoire, dont la Crimée ? Une Ukraine aux frontières de 2014 ? Une Ukraine avec 20 % de son territoire en moins ? Pour l’instant il n’y a aucun moyen de prévoir l’issue de la guerre. Donc le processus d’adhésion doit se poursuivre, en accompagnant le gouvernement ukrainien dans ses réformes, dans sa transition vers des modèles économiques et politiques compatibles avec les principes et les standards européens, mais elle ne sera finalisée que lorsque les conditions de la paix auront été trouvées. C’est pour ça qu’il est impossible, aujourd’hui, de définir un véritable calendrier d’adhésion.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.