Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un·e des membres du collectif de chercheur·ses réuni·es dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
On y est, le fameux été sportif 2024 bat déjà son plein, avec le championnat d’Europe du football qui a démarré en Allemagne en attendant les JO de Paris dans un mois.
Oui, on y est. Et vous aurez remarqué que, si ces deux méga-événements sont de nature très différente, ils tirent tous les deux leur attractivité de la mise en scène de la compétition entre États-nations. La compétition – qui par définition est une lutte et se solde par des victoires et des défaites – est certes encadrée par des règles généralement respectées, mais ressemble tout de même curieusement à un genre de simulacre de guerre.
Cette ressemblance dépend un peu des sports, non ?
Vous avez raison. La gym aquatique et le break-dance sont sans aucun doute moins suspect que les sports collectifs qui impliquent la conquête symbolique du territoire de l’adversaire. Impossible donc de généraliser.
N’empêche que cette interprétation a une longue tradition, et elle se comprend. L’invention, la codification, l’institutionnalisation du sport international est simultanée à une période de nationalisme exacerbée. Et les dirigeants et agitateurs politiques de tout bord ne sont que trop heureux de trouver dans l’affrontement sportif et l’immense potentiel émotif qu’il revêt, une opportunité pour « la nationalisation des masses », selon le titre d’un ouvrage célèbre de l’Américain George Mosse. Une « nationalisation » qui n’est rien d’autre qu’une préparation physique et mentale à l’affrontement militaire pour de vrai.
En août 1914, Henri Desgrange, créateur du Tour de France et fondateur de L’Auto – l’ancêtre de L’Équipe – qualifie dans son éditorial la guerre qui vient d’éclater à un « grand match ». De l’autre côté du Rhin, la fédération de football allemande n’y va pas non plus par quatre chemins en écrivant à ses membres : « Par le sport, vous avez été éduqués pour la guerre, jetez-vous donc sur l'ennemi, sans tremblement ! »
On n’en est plus vraiment là, heureusement !
Pas entre la France et l’Allemagne, c’est sûr. N’empêche, cette proximité entre sport et guerre symbolique est indéniable, et elle a aussi été très finement théorisée par les sciences sociales, notamment par le grand sociologue Norbert Elias, qui inscrit l’émergence du sport moderne dans un très long processus de civilisation des mœurs qui a pour but de réduire progressivement l’usage de la violence, y compris entre Etats-nations, et qui relègue des comportements archaïques vers les combats sportifs. Faute de pouvoir les éradiquer entièrement, on les aurait donc civilisés dans une activité hautement symbolique, mais en même temps pacifique, soumis à l’impératif des règles communes et du fair-play.
La théorie d’Elias reste, à mon avis, très convaincant. Aujourd’hui encore, le sport oscille entre lutte acharnée et jeu anodin, entre simulation de paix et célébration de guerre.
À regarder les foules dans les stades de l’Euro, on a plutôt l’impression qu’il s’agit avant tout d’avoir un sympathique prétexte pour se célébrer soi-même et faire la fête.
C’est sans doute cela, l’effet civilisationnel de longue haleine théorisé par Norbert Elias !
Mais il me semble que les grands événements peuvent aussi contribuer à consolider la paix et l’entente, ne serait-ce qu’en fournissant une opportunité, pendant quelques semaines intenses, de découvrir ou redécouvrir un pays, ses villes, sa culture, ses gens. Voyager, physiquement ou virtuellement en Allemagne cet été, c’est mettre à jour ses connaissances sur cette nation, sur ses faits et réalités, ses problèmes et ses réussites.
C’est dans cette perspective, d’ailleurs, que j’ai conçu, avec le soutien du vénérable Office franco-allemand de la Jeunesse qui a le même âge que moi, un petit « guide de voyage » à l’intention des Français curieux d’en savoir plus sur la manière dont le football imprègne la société allemande. Cela vient de sortir, et tenez-vous bien, c’est gratuit ! Nous avons imprimé 10 000 exemplaires qui sont actuellement distribués sur place en Allemagne aux supporters des Bleus, mais c’est aussi téléchargeable gratuitement et très sympa à lire sur sa tablette ou son téléphone. Et le retour qu’on a depuis quelques jours est très positif !
Eh bien, une fois n’est pas coutume, on termine la chronique sur une page de pub et je vous promets que nous afficherons le lien de téléchargement sur notre site !
Merci, Albrecht Sonntag, je rappelle que vous êtes Professeur à l’ESSCA Ecole de Management à Angers, et directeur adjoint d’UniPaix, le Centre d’Excellence Jean Monnet hébergé à Nantes Université.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron