C’est l’heure de « L'Europe, le monde, la paix », notre chronique hebdomadaire du Centre d’excellence Jean Monnet UniPaix. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d’accueillir Alina Miron, Professeure en droit international à l’Université d’Angers. Bonjour, Alina !
Vous revenez sur un colloque qui s’est tenu le 30 et 31 août dernier au Centre Jean Bodin de l’Université d’Angers, relatif à, je cite, « la boîte à outils de l’internationaliste pour la défense des intérêts communs ».
Oui, manifestation qui s’est déroulée en parallèle de la célébration des 150 ans de l’Institut de Droit International, et qui a réuni des juristes appartenant à différentes générations et venus du monde entier.
C’est l’axe 2 du colloque, portant sur la question « Les sanctions internationales, outils de paix ? » qui a donné l’occasion aux participants de discuter des crises que traverse l’ordre juridique international, dont la guerre en Ukraine n’est qu’une des manifestations.
Vous ne serez guère surprise d’apprendre que le constat, désarmant, que le système international mis en place après 1945 subit une crise profonde a été unanimement partagé. Mais en même temps, les juristes ont tendance à vouloir lire l’avenir dans les cendres de ce monde passé. On a ainsi souligné que les crises majeures sont autant de laboratoires de développement de normes nouvelles pour réguler les relations internationales.
Et les sanctions internationales – ou « mesures restrictives unilatérales » pour rester dans le lexique juridique – en sont une illustration.
On parle bien du type de sanctions prononcées en vagues successives par l’Union européenne à l’encontre de la Russie ou du Bélarus ?
Tout à fait. Ces sanctions engendrent des réactions contradictoires. Celles-ci vont de l’apologie d’un système coercitif de défense des valeurs communes (du moins occidentales) à la condamnation de ce même instrument comme un outil hégémonique.
L’Union européenne, qui a fait de la protection du droit et de ses valeurs le fer de lance de son action dans les enceintes multilatérales, n’aurait-elle pas trop facilement cédé à la tentation de l’hégémonie, en adoptant un régime de sanctions maximales, y compris de confiscations des biens gelés, et en étendant leur portée au-delà de son territoire ?
J’imagine que les débats ont été animés.
L’un des ateliers s’est focalisé sur l’articulation entre les « sanctions » unilatérales et l’ordre juridique international.
Les « sanctions » sans précédent adoptées en réaction à l’agression de l’Ukraine par la Russie, adoptées pour pallier la paralysie du Conseil de sécurité, sapent-elles définitivement l’autorité de cet organe central du système mis en place après la seconde guerre mondiale ?
Certains participants se sont demandé si l’ONU était obsolète. Des alliances régionales ou idéologiques viennent se substituer à une institution universelle qui s’avère incapable de remplir la mission qui lui a été assignée, à savoir défendre les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, dont celui de l’interdiction des annexions territoriales par la forcé armée.
D’autres participants ont choisi d’insister sur la permanence de ces principes et sur le fait que les « sanctions » unilatérales avaient été précisément adoptées en réaction à une violation grave de ce principe fondamental. Ils ont par ailleurs souligné le fait que l’ONU n’avait pas le monopole de la défense de ces valeurs universelles bien qu’elle tienne le rôle principal dans le maintien de la paix et la sécurité internationale. Le droit international permettait, à travers le concept de contre-mesures dans l’intérêt général, aux autres Etats et à l’Union européenne d’adopter des mesures coercitives en réaction.
Mais on sait aussi que des sanctions unilatérales peuvent avoir des effets drastiques sur les populations sans vraiment affecter les cibles immédiates, comme les dirigeants des régimes concernés.
C’est ce qu’a souligné par exemple la Rapporteure spéciale des Nations Unies sur les sanctions, Alena Douhan, en donnant l’exemple de Cuba ou de l’Iran entre autres. Au-delà de la question de leur efficacité – lourdement mise en doute - c’est la violation collatérale des droits fondamentaux des populations qui est critiquée.
La guerre russo-ukrainienne n’a fait qu’exacerber ces débats, en montrant l’absence de ralliement d’une grande partie du globe – le désormais fameux « Sud global » - à une politique perçue comme hégémonique. Ces mêmes Etats s’interrogent – à juste titre – sur les doubles standards dans l’application de l’outil des sanctions – elles ne touchent jamais les Etats alliés des pays occidentaux, quand bien même ils se rendraient coupables de violations graves d’autres principes fondamentaux.
Comme je le disais au début, les juristes internationalistes constatent que les fondements juridiques de l’ordre établi après la 2nde guerre mondiale sont ébranlés. Qu’en sortira-t-il ? La réponse ne relève plus du droit, mais de la politique.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.