Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Aujourd’hui,
nous allons parler d’un sujet qui intéresse tous ceux·celles
qui passeront des vacances en Allemagne, mais qui concerne aussi la
vie politique : ce sont les dialectes. Quand on parle de langue en
Allemagne, de quoi parle-t-on ?
Ce que l’on parle le plus - et ce que l’on apprend à l’école - c’est le “Hochdeutsch”, littéralement le “haut-allemand”. C’est l’allemand standard, l’allemand écrit. Nul jugement dans le terme “haut” : le “Hochdeutsch” est issu des dialectes parlés notamment dans les régions montagneuses, au sud de l’Allemagne actuelle.
Une fois qu’on a parlé du “Hochdeutsch”, il y a bien sûr toute la diversité des dialectes - et des accents. Bavarois, souabe, “Kölsch” dans la région de Cologne, “Plattdeutsch” ou bas allemand, saxon ou “Sächsich”… Avec d’infinies variantes : en Autriche par exemple, je me souviens que dans une vallée des montagnes près de Salzbourg, “lieu” se disait “Ort”, comme en allemand standard, mais “Ourt” à l’autre bout de la même vallée. On m’avait aussi expliqué que les carottes étaient meilleures que celles de l’autre côté de la vallée.
Une attention très forte portée à l’enracinement local ! Pour fixer ce point d’emblée, comment distinguer les langues régionales et les dialectes ?
Regardons ce qu’en dit le Larousse : il définit comme “langue régionale” une “langue qui, dans le cadre national, diffère nettement de la langue officielle standard et dont les locuteurs posent le problème de son statut et de sa transmission comme langue de communication et de culture”. Les dialectes sont quant à eux un “ensemble de parlers qui présentent des particularités communes et dont les traits caractéristiques dominants sont sensibles aux usagers”. Un dialecte ne constitue pas une langue, mais en est une variété distincte et perçue comme telle.
De quelle reconnaissance bénéficient ces langues régionales ou dialectes en Allemagne ?
L’Allemagne a ratifié la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe, qui est entrée en vigueur en 1998. Le danois est donc reconnu au Schleswig-Holstein, le haut sorabe en Saxe, le bas sorabe au Brandebourg, le frison septentrional au Schleswig-Holstein, le frison saterois en Basse-Saxe, le bas allemand à Brême et à Hambourg, etc.
La France, quant à elle, a signé mais pas ratifié cette Charte européenne. François Hollande en avait d’ailleurs fait une promesse de campagne en 2012, mais le Sénat avait refusé de voter en faveur de la ratification en 2015. Des efforts sont néanmoins faits, pour valoriser, faire connaître, enseigner l’alsacien, le basque, le breton, ou l’occitan par exemple.
La reconnaissance juridique de ces langues régionales est donc bien plus forte en Allemagne qu’en France, avec parfois une grande importance au quotidien. Quel rôle jouent langues régionales et dialectes en Allemagne ?
Disons-le, ils ont régressé avec l’unification de l’Empire allemand en 1871, et la valorisation de l’allemand standard à l’école et dans le débat public, associé aux élites. Ces dialectes ont parfois été associés à un manque d’intelligence, de formation, et plus globalement ont pu se retrouver confinés à la sphère personnelle : moins véhiculés car moins écrits, moins écrits car moins véhiculés…
Mais les dialectes ne sont pas absents de la vie politique, économique et sociale, loin de là. C’est vrai à l’échelle locale, mais aussi fédérale - les chancelier·ères fédéraux n’ont pas hésité à émailler leurs discours de termes locaux, quand les responsables politiques utilisent aussi le dialecte, quel que soit leur parti. En janvier 2022, 11 député·es ont lancé au Bundestag un groupe parlementaire du “Plattdeutsch”, du “bas allemand”. Et en mars 2023, un débat en séance publique a eu lieu sur les langues régionales ou minoritaires, en partie dans ces langues. Ce n’était d’ailleurs pas une première : en 2018, le député SPD Johann Saathoff s’était opposé, en “plattdeutsch”, à une motion de l’extrême-droite de l’AfD qui visait à inscrire l’allemand standard comme langue nationale dans la Loi fondamentale. Et en 1994, le débat sur la ratification de la Charte européenne des langues avait, en partie, eu lieu en “plattdeutsch”.
Pourquoi ces dialectes ont-ils une telle importance ?
Ils renvoient à du commun, permettent de mettre en avant la volonté de trouver des solutions, ou, même si l’on n’est pas d’accord, l’importance d’examiner la situation de manière juste. La dimension émotionnelle est sans doute plus importante, surtout si le dialecte est votre langue maternelle. Avec un regard français, cela peut paraître étonnant, mais l’Allemagne est un État fédéral, dans lequel l’échelon régional, local, joue un rôle majeur. On peut ajouter que cette vivacité des dialectes est d’autant plus forte au sud qu’au nord de l’Allemagne. Il reste bien sûr des enjeux d’enseignement, de transmission, de valorisation, que les langues régionales connaissent aussi en France, à une échelle très différente.
Concrètement, ces dialectes sont-ils à l’oreille très différents de l’allemand littéraire ?
Oui, à la télévision, il n’est pas rare de voir certains passages sous-titrés, pour que tous puissent bien comprendre - que d’ailleurs l’accent soit très marqué, ou parce que la personne parle dialecte. Les prochaines élections en Bavière, le 8 octobre 2023, vont certainement nous donner l’occasion de plus entendre des accents bavarois, et du bavarois. Anecdote personnelle, dans les environs de Salzbourg, dans ces fameuses montagnes autrichiennes dont je parlais plus tôt, il n'était pas d'emblée évident de comprendre que, pour dire “je parle encore un peu le dialecte”, “ich kann noch ein bisschen Dialekt” en allemand standard, avait pour équivalent “i ko no a bissi Dialekt".
Entretien réalisé par Laurence Aubron.