Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Le 1er mai est souvent synonyme d'évolutions en matière de politiques publiques : en Allemagne le 1er mai 2023, c’est l’abonnement à 49 euros par mois qui est entré en vigueur. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un abonnement mensuel pour tous les transports, sauf les trains à grande vitesse - ce sont les ICE, l’équivalent de nos TGV. Du bus aux trains régionaux, en passant par les métros ou les trains locaux, ce sont tous les autres types de transport en commun qui sont concernés. Le prix est imbattable, notamment si vous avez l’habitude de beaucoup voyager : 49 euros par mois.
Selon le VDV, l’association allemande des gestionnaires de transports publics, 16 millions de personnes au moins, sur 84 millions d’habitant·es, pourraient s’y abonner. Le 1er mai, environ 750 000 tickets avaient déjà été vendus - sans compter les abonnements convertis en "Deutschland-Ticket".
Ce ticket mensuel est-il complètement nouveau ?
Non, il s’appuie sur l’expérience de l’été 2022 d’un billet pour tous les transports en commun régionaux et de proximité à 9 euros par mois. Le succès avait été immense : 52 millions de billets vendus, avec des trains bondés - et des inquiétudes sur la capacité du réseau allemand à accueillir autant de voyageur·ses. Le dispositif devait être pérennisé, c’est maintenant chose faite.
En revanche, la logique d’un ticket unique à travers l’Allemagne est assez nouvelle, dans un pays fédéral où les transports régionaux sont gérés par les Länder, avec leurs particularités locales et des centaines d’entreprises.
Quel est l’objectif de ce billet mensuel de train ?
C’est bien sûr une mesure de lutte contre l’inflation, notamment contre la hausse des prix des carburants. L’inflation était encore de + 7,2 % en avril 2023 sur un an, même si elle commence à baisser selon Destatis, l'office fédéral de statistiques.
Cela doit aussi permettre de réduire l’impact carbone des transports, dans un pays où le symbole de la voiture reste majeure, où cette dernière représente une part non négligeable de l’industrie et des emplois, et où le FDP refuse toujours de limiter la vitesse sur autoroutes (même si dans les faits les tronçons où rouler au-delà de 130 km/h ne sont plus légion). D’autant que si l’Allemagne a réduit ses émissions de 1,9 % en 2022 selon l'Office fédéral pour l'environnement (UBA), le secteur des transports, qui pèse lourd, est le seul secteur a avoir vu ses émissions augmenter en 2022 - de 0,7 % par rapport à 2021. Cette question des émissions est majeure alors que l’Allemagne entend devenir neutre en carbone d’ici 2045.
Cet abonnement mensuel à 49 euros par mois est présenté comme une véritable “révolution”, mais quelles sont les critiques ?
L’une des critiques majeures porte non pas sur l’objectif de favoriser les transports en commun, mais sur ses modalités : faut-il d’abord inciter financièrement à prendre les transports en commun, ou les moderniser ? Faut-il favoriser la demande, ou l’offre ? La question est d’autant plus importante que ce “Deutschland-Ticket” coûte cher (1,5 milliard d'euros pour l’Etat fédéral et les Länder chacun par an) et que le déficit de la Deutsche Bahn, l’opérateur ferroviaire fédéral, est de 30 milliards d'euros.
La modernisation des infrastructures était d’ailleurs un des axes clés de l’accord de coalition de 2021 entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux. Il faut dire que le réseau a besoin d’un investissement global de 8,6 milliards d'euros par an pendant 10 ans, notamment à l’Ouest et au Sud. Le déficit chronique d’investissement date des années 1990 - pour le coup, les années au pouvoir d’Angela Merkel ne sont pas les seules concernées, pour rebondir sur le sujet de notre discussion la semaine dernière. Ajoutons que seuls un peu plus de 65 % des trains longue distance sont arrivés à l'heure en 2022, en baisse de 10 points en un an : ce chiffre est historiquement bas, et plus bas que dans les autres pays européens. Et si vous avez déjà pris un train en Allemagne, vous savez qu’il ne faut pas trop compter sur Internet.
L’une des critiques majeures, dites-vous : quelles sont les autres ?
Elles concernent également le maillage même du réseau de transports en commun, plus dense en zone urbaine que rurale : certains considèrent dès lors que ce projet renforce les inégalités géographiques. Ce billet de transport unique représente un compromis, pas une solution miracle.
Le fruit d’un compromis. Pourra-t-il s’appliquer en France ?
Oui, le fruit d’un compromis - les libéraux par exemple étaient plus enclins initialement à des réductions des prix des carburants, plutôt qu’à une subvention aux transports en commun. Même si c’est un ministre libéral, Volker Wissing, qui met en œuvre le “Deutschland-Ticket” en tant que Ministre des Transports.
En revanche, autant l’Allemagne fait souvent figure de modèle en France, autant cette mesure ne devrait pas y être appliquée. Le Ministre des Transports, Clément Beaune, déclarait en octobre 2022 que ce dispositif “coûte cher et [qu’]il y a très peu de report de la voiture vers le train". Néanmoins, lors du Conseil des ministres franco-allemand du 22 janvier 2023, Paris et Berlin avaient annoncé la création pour l’été 2023 d'un "ticket binational" pour les jeunes, dont 60 000 billets de train gratuits. Mobilité et amitié, le lien reste fort.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.