Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
Des centaines de milliers de personnes ont manifesté ce week-end des 20 et 21 janvier 2024 à travers l’Allemagne, contre l’extrême-droite de l’AfD, le parti Alternative pour l’Allemagne. Pourquoi une telle mobilisation ?
Les appels à manifester avaient été à nouveau très nombreux, de la part des responsables politiques, religieux, ou même d’entraîneurs sportifs. On a compté jusqu’à 1,4 million de manifestants contre l’extrémisme et pour la démocratie. Le déclencheur, ce fut la révélation par le média Correctiv, mi-janvier, d’une réunion fin novembre 2023 à Potsdam, près de Berlin. Y ont participé des extrémistes de droite et des néonazis dont un idéologue autrichien, Martin Sellner, venu présenter son projet de “remigration” de ceux qui seraient “un fardeau économique, criminel, culturel”. Concrètement, cela reviendrait à expulser d’Allemagne, vers l’Afrique du Nord, jusqu’à deux millions de personnes - demandeurs d’asile, étrangers, citoyens allemands d’origine étrangère, personnes qui aident les réfugiés, etc. Parmi les participants, il y avait des responsables de l’AfD - même si le parti nie adhérer au projet présenté.
Ces révélations ont provoqué un véritable tollé en Allemagne, où la question de la lutte contre l’extrémisme est centrale.
Oui, cette réunion de Potsdam a été jusqu’à être comparée par la ministre fédérale de l’Intérieur Nancy Faeser à celle de la villa de Wannsee, dans la banlieue de Berlin, lorsque les nazis ont planifié en 1942 ce qu’ils ont appelé la “solution finale”, et l’extermination des juifs d’Europe.
Ce projet de “remigration” a été critiqué, à gauche comme à droite, comme une attaque inacceptable contre la démocratie et les valeurs fondamentales de l’Allemagne. Et il a suscité un émoi tout particulier à travers le pays, à l’image de ces manifestations massives.
Au-delà de l’AfD, cette réunion a aussi réuni des membres de la CDU/CSU, la droite chrétienne-démocrate. Est-ce un véritable séisme pour les droites allemandes ?
Certainement, d’autant que cela rappelle que le président du parti, Friedrich Merz, avait lui-même évoqué, à l’été 2023, la possibilité de nouer des alliances locales avec l’AfD, avant de revenir sur ses propos. Coopérer avec l’AfD sur certaines thématiques, à certaines échelles, ou la combattre, et comment ? Ce sont des questions similaires qui se posent en France face au Rassemblement national - même si la démarche de normalisation de ce parti est aux antipodes de l’AfD, qui ne fait que se radicaliser depuis sa création.
Pour revenir à cette réunion à Potsdam en novembre 2023, ce sont deux membres de l’aile droite de la CDU qui étaient présents, des membres de la WerteUnion. Ce groupe très conservateur fondé à la fin des années Merkel compte 4 000 membres et est depuis longtemps critiqué pour sa proximité avec l’AfD. Le 20 janvier, son chef a annoncé sa scission d’avec la CDU, et confirmé sa volonté de créer un parti politique.
Son président actuel, nous en avions, je crois, déjà parlé : c’est Hans-Georg Maassen, l’ancien président du BfV, l’Office fédéral de protection de la Constitution - ce sont les renseignements intérieurs fédéraux. Hans-Georg Maassen avait été démis de ses fonctions en 2018 à la suite de propos anti-migrants, et était sous le coup d’une procédure d’exclusion de la CDU/CSU depuis février 2023. Cette scission clarifie donc les positions, mais confirme aussi la radicalisation progressive d’une partie de la droite allemande.
La démocratie est-elle en danger en Allemagne ?
C’est la question de fond, que l’AfD, ses positions autoritaires, ouvertement racistes et xénophobes, posent régulièrement depuis plusieurs années. Sa radicalisation et ses succès dans les sondages donnent une lumière nouvelle à ces débats, à quelques mois des élections européennes de juin 2024 et de trois élections régionales dans l’est de l’Allemagne en septembre, où le parti pourrait à ce stade recueillir 30 à 38 % des voix. Les manifestations de ce week-end ont sans doute apporté une première réponse.
L’Allemagne pourrait-elle interdire l’AfD ?
C’est une des demandes dans les manifestations, mais c’est un sujet éminemment complexe - et qui mérite une chronique entière : retrouvons-nous la semaine prochaine.
Avant de se dire au revoir, deux derniers points : l’interdiction est possible, mais est une procédure très encadrée - en 2017, le Tribunal contitutionnel a refusé d’interdire le parti néo-nazi NPD, considérant que si le parti est bien hostile à la Loi fondamentale, le petit nombre de ses membres l’empêchait de constituer un danger. Et en tous les cas, si une telle procédure devait être lancée, et si l’AfD devait être interdit, cela ne serait pas le cas d’ici les prochaines élections régionales.