Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
Quelle est la situation politique en Allemagne en cette fin d’année 2023 ?
Elle reste très complexe - qui aurait pensé que la politique allemande, longtemps considérée comme ennuyeuse, puisse se révéler si riche de rebondissements ?
La coalition au pouvoir a finalement survécu à ses déboires budgétaires pour 2023 et les années à venir. La règle du frein à l’endettement, la “Schuldenbremse”, a été levée pour la quatrième fois en 2023, mais des économies de pas moins de 17 milliards d’euros ont dû être dégagées pour 2024. Si le compromis annoncé le 13 décembre a été laborieux, il a pu être atteint.
Les oppositions sont quant à elles dans des situations très diverses, entre la droite chrétienne-démocrate qui prépare les prochaines élections mais peine à convaincre, l’extrême-droite de l’AfD qui surfe sur des sondages records, ou l’extrême-gauche qui se déchire depuis des mois - mais pourrait regagner des couleurs à l'aune d’une dynamique nouvelle, nous en reparlerons.
Face à cette situation chaotique, comment se situe le SPD, le principal parti de la coalition au pouvoir à Berlin ?
Les sondages sont mauvais pour les trois partis de la coalition, et notamment pour le SPD. Si le plus vieux parti d’Allemagne a obtenu 25,7 % des voix aux élections législatives de 2021, il en recueillerait aujourd’hui à peine 15 %. Ce serait deux fois moins que la CDU, et le SPD serait même derrière l’AfD - même si la situation est encore pire pour les libéraux qui pourraient ne pas atteindre le seuil minimal de 5 %.
La popularité du gouvernement, du SPD et du chancelier Olaf Scholz atteint un minimum historique. Début décembre 2023, la Süddeutsche Zeitung a comparé les scores des derniers chanceliers à mi-mandat : Angela Merkel était à 54 %, Gerhard Schröder à 48 %, tandis qu’Olaf Scholz est à 17 %. Le pouvoir en Allemagne ne peut pas se résumer à une personne, mais le signal reste inquiétant pour la coalition.
Dans un tel contexte, le congrès du SPD a eu lieu du 8 au 10 décembre 2023 - avant le fameux accord budgétaire dont nous parlions. Que s’est-il passé ?
Pour commencer, les co-présidents sortants, Saskia Esken et Lars Klingbeil, ont été réélus pour deux ans, avec des scores relativement comparables à ceux de 2021. Ce sont des résultats bien meilleurs qu'escomptés - notamment pour Saskia Esken, qui a gagné pas moins de six points.
S’il y a eu par ailleurs des critiques sur les orientations politiques, notamment de la part des Jusos, les jeunes socio-démocrates, l’ambiance aura globalement été à l’unité.
Dans ce contexte d’unité, quelles évolutions politiques ont marqué ce congrès ?
En matière de politique étrangère, on peut notamment retenir la confirmation de la distance prise par le SPD - comme par l’Allemagne - avec la Russie depuis 2022. Le congrès a par exemple stipulé que “La sécurité de l’Europe doit nous protéger de la Russie tant qu’un changement fondamental n’aura pas eu lieu dans ce pays”. On est bien loin de la coopération économique comme fondement des évolutions politiques, qui était prônée auparavant.
Par ailleurs, c’est une évolution à gauche qui se dessine pour le parti. Le chancelier a appelé à “empêcher le démantèlement de l'État-providence”, rappelant l’ancien chancelier SPD Helmut Schmidt, selon qui l'État-providence, der “Sozialstaat”, était la plus grande réussite de l’Allemagne aux côtés de la démocratie. Ce congrès 2023 du SPD a par exemple appelé à des prélèvements plus élevés sur les ménages les plus riches.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.