Allemagne-France : si proche, si loin

L’Allemagne et le la France en crise – l’UE en perte de compétitivité ?

Photo de Mathieu Delmestre - Flickr L’Allemagne et le la France en crise – l’UE en perte de compétitivité ?
Photo de Mathieu Delmestre - Flickr

Chaque semaine, Jacob Ross chercheur au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), revient pour nous sur les liens qui unissent la France et l'Allemagne.

Nous voulions parler ici de la redécouverte de l’autre, mais une crise en chasse une autre et il en vaut la peine de les comparer en franco-allemand.Le gouvernement français craint l’absence d’un budget pour 2025, faute d’un vote avant la fin de l’année. En Allemagne, le nouveau ministre des Finances est – lui aussi – sans majorité. La situation de l’Allemagne et de la France est-elle comparable ?

Oui, car les deux gouvernements se retrouvent actuellement sans majorité stable dans leurs parlements respectifs, ce qui provoque une certaine nervosité chez les spectateurs politiques et économiques et surtout sur les marchés financiers qui – on nous l’a rappelé sans cesse – n’aiment pas l’instabilité et l’imprévisibilité.

En Allemagne, Christian Lindner, chef de file du parti libéral FDP et jusqu’à récemment ministre des Finances, a été chassée de la coalition tripartite et donc du gouvernement. Son successeur, Jörg Kukies, est un proche du Chancelier social-démocrate. C’est maintenant à lui d’assurer la continuité du gouvernement jusqu’aux élections anticipés qui devraient se tenir fin février.

En France, Michel Barnier a annoncé qu’il fera très probablement usage de l’article 49.3 pour faire passer le budget pour 2025 sans vote à l’Assemblée. Il craint alors que Marine Le Pen et le Rassemblement National puissent se joindre au Nouveau Front Populaire pour censurer son gouvernement. On aura alors une nouvelle crise de gouvernement en France qui se rajoutera à celle de l’Allemagne.

Les deux pays risquent donc effectivement de tomber en crise au même moment ?

Oui, mais le point de départ n’est pas du tout le même. En France, l’endettement a atteint des hausses historiques. Il était de 112% du PIB au deuxième trimestre 2024 et le prix des nouveaux endettements ne cesse de croitre. En Allemagne, au contraire, la marge de manœuvre du gouvernement est beaucoup plus large avec un endettement souverain autour de 61% du PIB, dépassant de justesse les 60% initialement prévu par les règles de stabilité européennes.

Pourtant, la capacité allemande de s’endetter davantage est limitée par un instrument qui a gagné en notoriété à travers l’Europe ces dernières années, la « Schuldenbremse » ou « frein à la dette », inscrite dans la loi fondamentale allemande.

En Allemagne, les besoins d’investissements pourraient donc rapidement être satisfaits par des choix politiques alors qu’en France, la politique a en réalité très peu d’options.

Certains commentaires récents en France rappellent la crise de la dette souveraine et la menace de la zone euro après 2010. La porte-parole du gouvernement français a évoqué des « scénarios grecques » si le gouvernement Barnier tombait. Comment la situation est-elle évaluée en Allemagne ?

Il est effectivement peut-être temps de se refamiliariser avec le vocabulaire des débats sur la dette souveraine, qui – je le rappelle toute de suite – ont souvent été douloureuses. Les négociations européennes sur le maintien de la Grèce dans la zone Euro ainsi que la stabilisation financière de certains États-membres de l’Union, notamment dans le Sud, avaient provoqué une division profonde entre l’Europe du Nord et Est et celle du Sud.

J’ai un souvenir très vif des débats, entre chefs d’Etats et de gouvernement aux sommets européens jusqu’aux séminaires économiques pendant mes propres études. Et je me rappelle également très bien des titres des journaux qui créaient des polémiques sur la question un peu partout en Europe. En Allemagne, le gouvernement en Grèce était particulièrement visé et attaqué pour ne pas avoir su tenir ses finances publiques.

Aujourd’hui, la France est souvent confrontée avec les mêmes reproches de la part des responsables politiques à Berlin. Le président Macron avait en effet promis en quelques sortes de régler le problème de la dette souveraine en France avec une série de réformes structurelles pour augmenter sa compétitivité et – c’était là la deuxième partie de son programme initial – augmenter la compétitivité et la souveraineté de l’UE ensuite.

On peut avoir l’impression que l’Union européenne dans son ensemble est en train de perdre en compétitivité face à une concurrence internationale toujours plus accrue.

Tout à fait. D’où les appels récemment multipliés à investir massivement dans la future compétitivité de l’Union – que ce soit dans la défense, dans l’intelligence artificielle et la digitalisation ou dans la transition énergétique et donc écologique. Le besoin d’investir est massif – que ce soit en Allemagne, en France ou ailleurs en Europe.

C'est pourquoi de nombreux regards se tournent vers l'Allemagne – et ce depuis plusieurs semaines. Depuis la publication d'un rapport sur la compétitivité de l'UE – le fameux rapport Draghi – les États-membres de l’Union espèrent que l’Allemagne revienne sur son frein à la dette pour mettre tout son poids économique et financier derrière des investissements au niveau européen – comparable à ce qui a été décidé en juin 2020 avec le fonds de relance – face au choc économique des confinements décidés en réaction à l’arrivée du Covid.

Qu’en est-il de la volonté allemande de répéter ce genre d’investissement – qui, à l’époque, était communiqué comme une mesure exceptionnelle ?

Le chancelier actuel, Olaf Scholz, était lui-même ministre des finances quand le fonds de relance a été décidé en 2020. À l’époque, il avait parlé d’un moment « hamiltonien » pour l’UE dans un interview, faisant référence au premier ministre des finances des Etats-Unis et de l’importance de la dette commune sur le chemin des différents États américains vers une union fédérale. Il y avait donc un certain espoir, du côté français et dans d’autres états-membres, vis-à-vis de ce Chancelier. Mais cet espoir a été déçu, le Chancelier a certes assoupli le frein à l'endettement depuis, mais uniquement pour créer un fonds spécial pour les forces armées allemandes et pour aider les entreprises après le double choc du Covid et de l’invasion Russe de l’Ukraine.

Mais l'équation pourrait à nouveau changer après les élections fédérales en Allemagne, fin février. Le candidat à la chancellerie du parti conservateur CDU, Friedrich Merz, s'est récemment montré ouvert à davantage d'investissements.

Toutefois, le temps presse : Des mois pourraient s'écouler avant qu'une nouvelle coalition gouvernementale ne soit formée à Berlin après les élections. D'ici là, le gouvernement français pourrait déjà être tombé et la stabilité de la zone euro remise en question. Cela signifierait le retour des débats autour de la dette souveraine que nous avons connu il y a quinze ans – sauf que cette fois, l’Allemagne sera dans une situation beaucoup plus instable elle-même.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.