Allemagne-France : si proche, si loin

Le nucléaire fait débat

Photo de Rob - Pexels Le nucléaire fait débat
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Chaque semaine, Jacob Ross chercheur au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), revient pour nous sur les liens qui unissent la France et l'Allemagne.

Depuis des années, l'énergie nucléaire est un sujet de débat dans les relations franco-allemandes. À l'approche des élections législatives en Allemagne, qui auront lieu dans deux semaines, un espoir semble émerger en France quant à une possible évolution de la position allemande. Mais pourquoi ces deux pays ont-ils des visions si divergentes sur cette question ?

L'énergie nucléaire a en effet été l'un des sujets les plus controversés de ces dernières années, les deux positions se trouvant souvent aux antipodes du débat européen.

Au fil des décennies, les conflits se sont multipliés, notamment à travers des controverses autour des centrales françaises situées sur le Rhin. Les riverains allemands, de l'autre côté du fleuve, ont souvent craint des accidents. En 1986, par exemple, le SPIEGEL, l'un des magazines les plus lus en Allemagne, titrait : « La France, voisin nucléaire dangereux », après que la centrale de Cattenom ait été inondée. La presse locale et nationale avait alors élaboré des scénarios de catastrophes.

L'agitation était renforcée par le fait que l'accident nucléaire le plus célèbre et le plus médiatisé de l’histoire, celui de Tchernobyl, s'était produit seulement quelques mois avant, en avril 1986. Si l'on en croit les livres d'histoire et les récits de l'époque, les réactions à cet accident ont été très différentes en Allemagne et en France. Alors qu'en Allemagne, il avait provoqué une panique chez beaucoup de gens ne sortant plus de chez eux et craignant les nuages nucléaires ainsi que les effets sur le long terme pour l'environnement, la réaction française a été beaucoup plus détendue. J’ai pu recueillir le témoignage à ça sujet d’un français, qui était stationné dans le sud de l'Allemagne à l'époque en tant que conscrit français : sa garnison avait continué les routines sportives et ses patrouilles comme si de rien n’était – pendant que les Allemands étaient confinés dans leurs maisons.

En 2011, sous l’impulsion de la chancelière Angela Merkel, le gouvernement allemand a décidé d’accélérer la sortie du nucléaire, un sujet débattu depuis longtemps. Qu’est-ce qui a motivé ce changement cette année-là ?

La décision de Merkel s'explique de deux manières. Tout d'abord, elle a été prise en réaction à l'accident nucléaire survenu à Fukushima au Japon, où un tsunami provoqué par un tremblement de terre avait entraîné un accident dans un réacteur.

Comme en 1986, à la suite de l’accident de Tchernobyl, la fusion du cœur du réacteur de Fukushima a provoqué une réaction importante au sein de la population allemande et a renforcé des peurs historiques. Merkel a alors réagi à ces craintes, comme elle l’a souvent fait, en regardant les sondages, et a décidé que le moment était politiquement opportun pour l'Allemagne de sortir du nucléaire.

Mais derrière cette décision se cachait une deuxième logique, purement politique cette fois : en Allemagne, le mouvement antinucléaire a toujours été étroitement lié au mouvement pacifiste et profondément enraciné dans la société civile. Historiquement, c’était les Verts qui mobilisaient les électeurs et qui exploitaient ce potentiel électoral. Selon de nombreux analystes en Allemagne, Merkel a freiné l'ascension des Verts dans la politique allemande en abandonnant le nucléaire.

La décision d’abandonner le nucléaire a été prise en 2011, et l’Allemagne a complètement arrêté ses centrales en 2023. Pourtant, ce choix reste un sujet de débat dans les relations entre la France et l’Allemagne. Pourquoi continue-t-il de susciter des controverses ?

La question de savoir quelle place l'énergie nucléaire va occuper à l'avenir dans le mix énergétique de l'Allemagne et de la France ne peut pas seulement être débattu au niveau national. Les deux pays font partie du marché européen de l'électricité. La production et consommation d'énergie dans un pays influence les calculs dans l’autre. Il existe une logique d’entraide européenne : ces dernières années, l'Allemagne et la France se sont soutenues à grande échelle à plusieurs reprises. Par exemple, lorsque de nombreuses centrales nucléaires ont été mises à l'arrêt en France pendant l'été 2022 en raison de la sécheresse et du faible niveau d'eau de nombreux fleuves, la France a pu importer de l’énergie d'Allemagne. Inversement, l'Allemagne importe souvent de l’énergie de France lorsque le pays connaît des périodes sans vent et sans soleil et que les technologies renouvelables, qui représentent une part bien plus importante du bouquet énergétique allemand, ne produisent pas d'énergie. C'est régulièrement le cas, surtout pendant les mois d’hiver.

Cette logique complémentaire atteint cependant rapidement ses limites. Par exemple lorsqu'il s'agit de savoir si l'hydrogène, une autre source d’énergie, est considéré comme « vert » ou « durable » quand il est produit à partir de l'énergie nucléaire - une question discutée au niveau européen. La politique française se bat depuis des années pour que ce type d’hydrogène soit classé ainsi, dans l'intérêt de la compétitivité de sa propre industrie et de son mix énergétique. En Allemagne, en revanche, on aimerait que les qualifications comme « durable » ou « vert » issues par l'UE soient limitées aux énergies renouvelables – ce qui serait là aussi un avantage considérable pour son mix énergétique et donc l’industrie allemande.

La  France, espérait un changement de position de l’Allemagne après les élections de février. Pourquoi ?

Le parti conservateur CDU et son candidat Friedrich Merz ont annoncé qu'ils vont étudier un retour à l'énergie nucléaire. Les prix élevés de l'énergie en Allemagne et la baisse de la compétitivité des industries à forte consommation d’énergie, des entreprises dans la chimie ou la métallurgie par exemple, ont récemment suscité de nouvelles critiques à l'encontre de la sortie du nucléaire.

Et puisque la CDU reste en tête des sondages et qu'il n'est pas du tout certain que les Verts fassent partie du prochain gouvernement fédéral, l'Allemagne pourrait effectivement revenir à l'énergie nucléaire. Dans tous les cas, Paris espère au moins que la position allemande dans les négociations à Bruxelles redeviendra plus pragmatique et qu'elle ne s'opposera pas catégoriquement à tout usage de l’énergie nucléaire. Si Friedrich Merz devenait chancelier, il y aurait un dernier argument en faveur d'un changement de position de l'Allemagne concernant l'énergie nucléaire : la sortie du nucléaire est un élément clé de l'héritage de Merkel. Merz veut rompre avec cet héritage – l'énergie nucléaire serait certainement un symbole important.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.