Chaque semaine, Jacob Ross chercheur au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), revient pour nous sur les liens qui unissent la France et l'Allemagne.
Friedrich Merz, candidat du parti CDU à la chancellerie, a remporté les élections législatives, fin février. Les négociations de coalition avec ses partenaires du parti bavarois CSU ainsi qu’avec les sociaux-démocrates sont en cours et Merz espère devenir chancelier autour de Pacques. Mais les critiques se multiplient. Pourquoi ?
On reproche surtout à Merz d’avoir trompé les électeurs avant même d’avoir pris ses fonctions en tant que chancelier. La semaine dernière, le Bundestag et le Bundesrat, la deuxième chambre du Parlement allemand, ont ouvert la voie pour des investissements colossaux dans la défense, les infrastructures et la lutte contre le réchauffement climatique – le tout financé par des nouvelles dettes souveraines – au niveau du fédéral et des Länder.
Depuis, les critiques se multiplient et ce pour deux raisons principales : d’abord, Monsieur Merz et la CDU avaient annoncés vouloir éviter de nouveaux endettements élevés avant les élections, afin de ne pas trop soumettre les générations futures au fardeau de la dette. Ils voulaient plutôt réduire les dépenses et générer plus de recettes grâce à la croissance économique. Ensuite, car la décision a été prise par le vieux Bundestag, qui a été destitué le 23 février. Merz et ses partenaires de la SPD craignaient de ne plus trouver de majorité des deux tiers nécessaires au nouveau Bundestag et avons donc avancé le vote.
Cela semble en effet discutable. Comment les observateurs politiques et les médias allemands réagissent-ils à cette décision ?
Tout d'abord, il convient de noter que le vote en question au Bundestag était conforme à la loi fondamentale allemande – l'équivalent allemand de la Constitution française – du moins si l'on en croit les juges de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe qui ont rendu leur verdict à ce sujet, donnant ainsi suite à plusieurs recours constitutionnels de l’opposition. Mais au-delà des arguments juridiques, de nombreux commentateurs craignent que la décision de faire voter l’endettement massif avec l'ancien Parlement n'ait davantage endommagé la crédibilité de la politique allemande dans son ensemble. De nombreux médias partagent l’impression que la confiance dans la nouvelle coalition gouvernementale à Berlin est sérieusement ébranlée avant même qu’un traité de coalition soit signé et le nouveau gouvernement entré en fonction.
Devant un large public, Friedrich Merz a lui-même admis avoir bénéficié de ce qu'il appelle un « grand crédit » - pas uniquement en termes financiers, pour des investissements dans la modernisation de l'Allemagne, mais également un crédit de confiance, en particulier auprès des électeurs de son parti, qui se sentent trahis. Merz se montre ainsi à la hauteur de sa réputation qui est celle d'un homme politique qui aime prendre des risques contrairement à ses prédécesseurs Angela Merkel et Olaf Scholz.
Quels risques Merz a-t-il pris en prenant cette décision ? Et surtout, qu'a-t-il gagné ?
Commençons par la marge de manœuvre politique, c'est-à-dire l’élection que Merz a remporté en obtenant le pouvoir d'emprunt. Le frein à l'endettement, qui limitait jusqu'à présent les emprunts et les nouveaux endettements du gouvernement fédéral, a été un facteur décisif dans l'échec de la précédente coalition tripartite. Lorsque le ministre des Finances Christian Lindner, membre du parti libéral FDP, a quitté la coalition en novembre, déclenchant ainsi de nouvelles élections, il a justifié cette décision par le manque de responsabilité fiscale de ses partenaires. Merz réduit désormais le risque de telles querelles en élargissant le cadre de la politique fiscale, dans lequel tous les partis de la coalition peuvent désormais mettre en œuvre leurs objectifs politiques.
Mais c'est là aussi que le principal risque entre en jeu : les détracteurs de Merz, en particulier ceux du parti AfD, premier parti d'opposition et catégorisé en partie comme d'extrême droite, lui reprochent non seulement d'avoir trahi ses électeurs, mais aussi de mettre en péril la stabilité financière de l'Allemagne et, par conséquent, de toute la zone euro. Ces voix disent que, au lieu de procéder aux réformes et aux priorités budgétaires qui s'imposent, Merz distribue maintenant l'argent selon le principe de l'arrosoir. Et l'AfD n'est pas seul dans sa crainte que l'État allemand, en partie dysfonctionnel aujourd'hui, ne soit pas modernisé, mais que les problèmes ne soient dissimulés par beaucoup d'argent - de l'argent que les générations futures devront rembourser.
C'est en fait similaire au débat en France sur la question de savoir si l'État doit dépenser plus ou moins à l'avenir.
Absolument. La différence importante à rappeler est que l'Allemagne a su conserver, grâce au frein à l'endettement, une marge de manœuvre budgétaire bien plus importante que celle de la France ou d'autres pays de la zone euro beaucoup plus endettés aujourd'hui. Mais au fond, la question est néanmoins la même à travers l’Europe : les gouvernements qui sont confrontés à des mouvements et des partis populistes de droite, peuvent-ils vraiment réduire les dépenses publiques, par exemple dans les domaines de l'aide sociale, de l'éducation ou de la culture ? Et peuvent-ils justifier ces réductions s'ils augmentent en même temps massivement les dépenses militaires et de la défense nationale ?
Cette question sera décisive – tant pour le futur gouvernement dirigé par le chancelier fédéral Merz que pour les deux années restantes du mandat d'Emmanuel Macron et la campagne présidentielle qui suivra en France. Défendre l'Europe de manière souveraine est une tâche immense, un objectif noble. Mais pour de nombreux électeurs, en France comme en Allemagne, cet objectif, finalement assez abstrait, ne sera pas une priorité à tout prix – surtout si les logements manquent, les écoles s’écroulent et que les retraites diminuent en même temps.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.