Allemagne-France : si proche, si loin

Quelle vision des relations transatlantiques des deux côtés du Rhin ?

Photo de Rosemary Ketchum - Pexels Quelle vision des relations transatlantiques des deux côtés du Rhin ?
Photo de Rosemary Ketchum - Pexels

Chaque semaine, Jacob Ross chercheur au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP), revient pour nous sur les liens qui unissent la France et l'Allemagne.

Après la victoire de Trump et au-delà des discussions politiques depuis – quelles différences existent-ils dans la vision des Etats-Unis, entre la France et l’Allemagne ?

L'identité de l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale est très étroitement liée aux États-Unis. Mon grand-père, par exemple, qui était heureusement trop jeune pour se battre, a aimé les Américains pendant toute sa vie : Les Etats-Unis, c'était la fin de la guerre, c’était la consommation, la prospérité et la liberté – je parle ici d'une biographie ouest-allemande, bien entendu - en Allemagne de l'Est, c'était évidemment très différent.

Il ne faut pas oublier non plus qu'au plus fort de la Guerre Froide, dans les années 70 et 80, des centaines de milliers de soldats américains ainsi que leurs familles étaient stationnées en Allemagne de l'Ouest. A ce jour, ils sont environ 40.000 - ce qui crée toujours de nombreux liens qui n'existent pas outre-Rhin.

En France, c'est très différent. Les États-Unis ont été les libérateurs, bien sûre, qui, avec les Alliés, avec De Gaulle, la France libre et la Résistance, ont mis fin à l'occupation nazie.

Mais la France s‘est rapidement retrouvée dans une relation concurrentielle avec les États-Unis. Après les conflits sur la décolonialisation et notamment la crise de Suez, en 56, le General de Gaulle a donc décidé de sortir la France du commandement militaire de l'OTAN en 66. Depuis, Paris a toujours cherché à se positionner en tant que puissance indépendante avec une « troisième voie », au cours de la guerre froide jusqu’à aujourd’hui, même si elle s'est entièrement réintégrée à l'OTAN en 2009, sous Nicolas Sarkozy.

Est-ce la raison pour laquelle les relations franco-américaines ont souvent été plus difficiles que les relations germano-américaines ?

C‘est certainement l'une des raisons, oui. J’aimerais proposer deux autres : Une première tient à l'identité de la France en matière de politique étrangère, qui est pourtant beaucoup plus proche de celle des États-Unis que celle de l’Allemagne: Les présidents français et leur diplomates pensent souvent – et jusqu‘à ce jour – que la France a une mission civilisatrice - en tant que patrie de la Déclaration universelle des droits de l'homme – ce qui les rapproche des Américains, qui pensent la même chose en tant berceau de la démocratie moderne.

Les Allemands ont tiré une leçon historique contraire des crimes des Nazis, de la Shoah et de la défaite totale de 1945 : Plus jamais, des idées allemandes devraient être imposé ailleurs, plus jamais l’Allemagne ne devrait agir seul dans le monde, sans alliés, sans coalitions.

Cela est très visible dans la politique culturelle, et ceci à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. C’est là une deuxième grande différence entre la France et l’Allemagne vis-à-vis des Etats-Unis et le monde anglophone ou anglo-saxon. L’Allemagne n’a pas de ministère de la Culture au niveau national, la diplomatie allemande hésite à déployer une politique culturelle à l’étranger – alors que la France – tout comme les États-Unis – n'a guère d'hésitations à communiquer de manière très offensive sur sa propre culture à l'étranger.

Ce qui, sur le papier, reproche donc la France et les Etats-Unis et ce qui les différentie de l’Allemagne, crée en réalité souvent une relation concurrentielle dans les relations internationales entre français et américains, là où l’Allemagne est contente de pouvoir se ranger derrière l'un des deux.

Que signifient ces différences pour les années à venir, pour la relation des deux pays avec Trump ?

Le grand père de Trump, Frederick, était d’origine allemande, il était né Friedrich Trump. Il existe donc un lien biographique entre Trump et l’Allemagne. Pourtant, Berlin a été sa cible préférée pendant son premier mandat, quand il a souvent critiqué les exportations de voitures allemandes vers les Etats-Unis, ainsi que le fait que l’Allemagne ne payait pas assez pour sa propre défense et s’était rendu dépendant de l’énergie Russe.

Macron et la France, au contraire, étaient partis sur une bonne voie en début de mandat. Trump était l’invité d’honneur pour les parades du 14. Juillet en 2017 et il été tellement impressionnée, qu’il souhaitait quelque chose de comparable à Washington.

Pour les mois à venir, il faut espérer que l'Allemagne et la France se concertent dans leur approche de Trump - malgré les nombreuses différences dans leurs relations avec les États-Unis.

La combinaison de leur expériences pourrait ouvrir la voie à l'avenir européen : un programme commun pourrait être basé sur le compromis entre la volonté française d’être souverain et l'ancrage profond de l'Allemagne dans les relations transatlantiques.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.