Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
La Conférence des Nations unies sur l’océan qui s’est déroulée à Nice s’est clôturée vendredi 13 juin. Que peut-on retenir de ce sommet pour les océans ?
Il y avait de grandes attentes avec ce sommet car les océans sont en souffrance avec le réchauffement climatique, la surpêche, la pollution plastique ou encore la pollution sonore sous-marine. Protéger les océans est une nécessité vitale. Il y a eu quelques avancées. 20 pays ont ratifié le Traité international de protection de la haute mer pendant le sommet, portant le nombre total à 51. Il en faut 60 pour son entrée en vigueur, ce qui pourrait avoir lieu d’ici la fin de l’année. Des engagements ont été pris à titre individuel. Par exemple, le Royaume-Uni a pour ambition d’interdire le chalutage de fond à plus de la moitié de ses aires marines protégées. Les négociations ont continué pour un traité mondial sur la pollution plastique. 37 Etats se sont également opposés à l’exploitation minière des grands fonds marins et demandent un moratoire. Mais le bilan est mitigé et même critiqué par les ONGs.
Pourquoi est-ce un bilan en demi-teinte ?
La Déclaration politique finale est pleine de bonnes intentions sans engagements ni actions véritables. Les énergies fossiles ne sont, par exemple, pas mentionnées dans la déclaration finale. La France avait fait des annonces retentissantes, notamment le fait que 4% des eaux françaises au lieu de 0.1% aujourd’hui seraient placées sous le statut d’aires maritimes protégées renforcées d’ici à 2026, ce qui signifie que le chalutage de fond sera interdit. Mais l’association Bloom a révélé que les espaces qui seraient concernés, à quelques exceptions près, interdisent déjà le chalutage de fond et ce depuis 2017. Ce que le gouvernement français conteste. Mais le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins reconnaît que « les interdictions existent déjà » ou « sont en passe de l’être » dans les zones désignées par l’Etat. Face au manque d’ambition du gouvernement français, Bloom a annoncé qu’elle lancerait une action juridique contre l’Etat pour faire cesser le chalutage de fond.
L’autre sujet qui n’a pas été abordé pendant ce sommet ce sont les menaces auxquelles font face les défenseurs de l’environnement.
Effectivement Laurence. Depuis plusieurs semaines, Bloom fait face à une intense campagne de dénigrement menée par le lobby de la pêche industrielle mais aussi par l’extrême droite. Des personnes se sont introduites dans la nuit du 3 juin au domicile de Claire Nouvian, la présidente de l’association, pour vandaliser sa porte d’entrée. Sachant qu’il fallait deux codes pour entrer dans son immeuble et que son nom n’est ni sur la porte ni sur la sonnette de son appartement. Des salariés de Bloom sont suivis dans le métro. Le câble d’accès internet a été arraché dans leurs locaux à Paris et sectionné dans le logement que l’association avait loué pour la durée du sommet à Nice. Un message disant « Claire Nouvian ment » a été diffusé lors d’un débat dans un cinéma à Paris en mai. Une boucle Whatsapp de 600 personnes intitulée « Bloom Bashing » a également été créée. Bloom et Claire Nouvian ne sont malheureusement pas les seuls défenseurs de l’environnement à être attaqués. A travers le monde, les défenseurs de l’environnement sont menacés, réprimés et tués. En 2023, 196 d’entre eux ont été assassinés. Depuis 2012, plus de 2 000 défenseurs de l’environnement ont été tués. Et c’est sans compter les disparitions forcées. La région Amérique du Sud est la plus dangereuse pour les défenseurs de l’environnement
Quelle est la situation en Europe ?
La situation est tout aussi préoccupante. Des lois répressives sont adoptées. Les défenseurs de l’environnement qui manifestent sont massivement arrêtés. Selon Michel Forst, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, « la France est le pire pays d’Europe » concernant le maintien de l’ordre. Au Royaume-Uni, les condamnations des défenseurs de l’environnement ayant réalisé des actions de désobéissance civile sont très sévères. En Allemagne, des techniques de surveillance poussée sont utilisées. Les défenseurs de l’environnement font aussi face aux poursuites bâillons lancées par des acteurs privés comme des entreprises ou des milliardaires. Alors protéger les océans et notre planète, c’est aussi défendre ceux qui se mobilisent en faveur de l’environnement.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
Franceinfo, Aires marines protégées, pollution plastique, pêche au chalut… Quel est le bilan de l'Unoc, le sommet de l'océan organisé à Nice ?, 2025
Bloom, Les « nouvelles » aires marines protégées françaises : la plus grande escroquerie environnementale d’Emmanuel Macron, 2025
Reporterre, Sommet sur les océans : Macron boit la tasse, 2025
Bloom, Fiasco diplomatique et tromperie écologique à l’UNOC : BLOOM attaque l’État français en justice, 2025
Le Monde, UNOC : les annonces du gouvernement sur les aires marines protégées auront un impact limité selon les pêcheurs, 2025
Reporterre, Répression policière des militants écolos : « La France est le pire pays d’Europe », 2024
Global Witness, Missing voices - The violent erasure of land and environmental defenders, 2024
Michel Forst, Répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales : une menace majeure pour les droits humains et la démocratie, 2024