Planète compromise ?

L’Union européenne et le trafic d’espèces sauvages

L’Union européenne et le trafic d’espèces sauvages

Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.

Aujourd’hui, Sophie Lemaître, vous allez nous parler du trafic d’espèces sauvages.

Tout à fait Laurence. Et pour commencer, une petite devinette : quelle est l’espèce animale la plus braconnée au monde ?

L’éléphant, pour son ivoire ?

L’éléphant fait effectivement partie du podium en troisième position. C’est le rhinocéros et le pangolin qui sont les animaux les plus prisés par les trafiquants. Au niveau de la flore, on retrouve le cèdre, le bois de rose, le bois d’agar ou encore le corail.

Pour quelles raisons les animaux sont-ils braconnés ?

Pour la nourriture comme les ailerons de requins, les anguilles ou les ormeaux. Mais aussi pour la médecine traditionnelle. Par exemple, en Chine, il y a une croyance selon laquelle boire un bouillon contenant des écailles de pangolin aiderait les femmes ayant des problèmes de lactation. Dans d’autres pays, posséder ou offrir des cornes de rhinocéros, de l’ivoire ou encore un meuble fait à partir bois de rose est un marqueur d’un statut social élevé.

Quelle est l’ampleur du trafic d’espèces sauvages ?

C’est assez difficile à quantifier avec précisions car les chiffres dont on dispose se basent uniquement sur les saisies qui ont pu être effectuées par les autorités. Entre 2015 et 2021, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime organisé, environ 4 000 espèces ont fait l’objet d’un commerce illégal. La quantité des saisies pendant cette période est impressionnante : 13 millions, soit environ 17 000 tonnes.

J’imagine que ce trafic n’est pas sans conséquences.

Non, effectivement, le commerce illégal d’espèces peut conduire à l’extinction ou à la quasi-extinction de certaines espèces. Par exemple, il ne resterait plus que 415 000 éléphants d’Afrique. Et en moyenne 55 éléphants sont braconnés chaque jour sur le continent africain. Quant au tigre, il n’en resterait plus que 3 900 à l’état sauvage à travers le monde. Le trafic d’espèces sauvages perturbe les écosystèmes et peut aggraver le changement climatique. Il y a aussi un risque de transmission de maladies notamment à l’être humain ou encore d’invasion d’espèces avec, bien sûr, des effets néfastes pour l’environnement. Le braconnage prive également les populations locales de moyens de subsistance.

Toutes les régions du monde sont-elles concernées par ce trafic d’espèces sauvages ?

Oui, Laurence, aucune région du monde n’est malheureusement épargnée. L’Union européenne par exemple est à la fois un pays d’origine, de transit et de destination du trafic d’espèces sauvages. En 2022, 70% des saisies qui ont eu lieu dans l’UE ont été faites en Allemagne, aux Pays-Bas, en France, en Espagne et en Italie. L’Allemagne était d’ailleurs le principal pays de destination de ce commerce illégal dans l’Europe pour l’année 2022. Pour donner un exemple : 5 tonnes de civelles ont été saisies en 2024 grâce au travail d’Europol. Les civelles qui sont pour simplifier des bébés anguilles proviennent principalement de France, d’Espagne et du Portugal et sont à destination de l’Asie. Les douanes allemandes de l'aéroport de Francfort ont par exemple saisi 41 pythons ballons et deux pythons à lèvres blanches à destination du Koweït. En France, les autorités ont démantelé un trafic international de chardonnerets élégants, un petit oiseau prisé pour son chant et ses couleurs vives et en voie d’extinction.

Quelles mesures l’Union européenne a-t-elle prise pour faire face à ce fléau ?

En 2015, l’Union européenne a rejoint la CITES – c’est-à-dire la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction – qui a pour but de veiller à ce que le commerce international des spécimens d'animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie de ces espèces. L’UE a adopté depuis plusieurs réglementations. Elle a également développé un plan d’action pour 2016 – 2020 qu’elle a révisé en 2022 afin de renforcer la politique européenne pour contrer ce commerce illégal, d’améliorer la coopération avec les autres pays et de s’attaquer à la racine du problème.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.

Sources :

UNODC, World Wildlife Crime Report (2024)

RHIPTO, Interpol, GI-TOC, World Atlas of illicit flows (2018)

Le site de la Commission européenne sur le commerce illégal d’espèces sauvages

TRAFFIC, An overview of seizures of CITES-listed wildlife in the European Union (2024)

Le Global Environmental Crime Tracker d’Environmental Investigation Agency

Le Monde, La France, plaque tournante du trafic d’espèces sauvages (2023)

OFB, Île-de-France : l'OFB et l'OCLAESP démantèlent un trafic de chardonnerets élégants (2023)