Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Aujourd’hui, vous nous emmenez en Indonésie pour nous parler de l’enquête internationale Dirty Nickel.
Oui, Laurence. Si vous conduisez une Tesla Model Y, une Peugeot 208 ou encore une Renault Mégane, votre voiture contient peut-être du nickel sale en provenance d’Indonésie. C’est ce que révèle l’enquête publiée ce mois-ci par Environmental Investigative Forum, Narasi, Der Freitag et Mediapart. Selon ces médias, les dix modèles de voiture électrique les plus vendus en France contenaient du nickel indonésien en 2024.
Pourquoi ces médias se sont-ils intéressés au nickel ?
Le nickel au même titre que le cobalt ou le manganèse est un minerai essentiel à la fabrication des voitures électriques. C’est donc une matière première indispensable à la transition énergétique. L’Indonésie s’est d’ailleurs positionnée comme un acteur clé du marché. Le pays est devenu en quelques années le premier producteur mondial de nickel. Mais l’exploitation du nickel dans le pays est synonyme de destructions environnementales comme la déforestation. L’ONG Mighty Earth a estimé qu’au moins 75 000 hectares de forêts ont été rasés pour l’extraction du nickel. La pollution des sols, de la mer et des cours d’eau avec des résidus miniers et des déchets toxiques est également courante. En plus, de nombreuses centrales à charbon sont construites car le charbon est utilisé pour traiter le nickel.
Quelles sont les conséquences pour les communautés vivant autour des mines de nickel ?
Il y a de forts enjeux de santé. Le chrome, par exemple, est cancérigène. Donc la contamination de l’eau potable par le chrome expose les populations à des risques sanitaires majeurs. Du fait de la pollution de la mer, de la disparition des poissons et de la déforestation, elles perdent leurs moyens de subsistance. Des habitants sont également expropriés pour que de nouvelles mines puissent être exploitées. La mine Weba Bay Nickel détenue notamment par l’entreprise française Eramet et l’entreprise chinoise Tsingshan est critiquée.
Qu’est-ce qui lui est reprochée ?
D’abord des conditions de travail déplorables avec des accidents et des décès qui seraient dissimulés. Les mesures de qualité de l’air et de l’eau réalisées seraient falsifiées. 15 rivières sont contaminées par des métaux lourds liés à l’exploitation du nickel. En 2023, l’entreprise a même reçu un « bulletin rouge » du ministère de l’environnement et des forêts indonésien pour sa mauvaise gestion environnementale. L’exploitation de la mine touche aussi une zone dans laquelle vit un peuple qui n’a eu encore aucun contact avec le reste du monde. Ce peuple risque d’être décimé du fait de la transmission de maladies pour lesquelles ils n’ont pas d’immunité. Weba Bay Nickel n’est pas la seule entreprise minière concernée par toutes ces allégations. The Gecko Project, OCCRP, Deutsche Welle, KCIJ Newstapa et le Guardian ont publié des enquêtes, un peu plus tôt dans l’année, sur la pollution causée par l’entreprise Harita Nickel pendant plus d’une décennie.
Ce qui ressort aussi de l’enquête Dirty Nickel ce sont les liens étroits entre les pouvoirs publics et le secteur minier.
Effectivement Laurence, les conflits d’intérêts sont légion. Par exemple, une députée possède des parts dans la mine PT Smart Marsindo par le biais de sociétés qu’elle contrôle. Et dans le même temps, elle fait partie de la commission parlementaire en charge de la réglementation environnementale des mines. Le gendre de l’ancien président indonésien Joko Widodo, son bras droit, son avocat et son ami d’enfance font partie des actionnaires de cette mine. Un ministre indonésien délégué aux affaires maritimes détient, quant à lui, des parts dans une société qui réceptionne le charbon. Les exemples sont nombreux. Ce qui se dégage de cette enquête c’est qu’une élite politique profite de l’exploitation du nickel au détriment des populations et de la nature.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
Mighty Earth, From forests to electric vehicles, 2024
Mediapart, Écocide et conflits d’intérêts : le vrai coût de nos véhicules électriques, 2025
Mediapart, En Indonésie, les ravages sociaux et écologiques de la plus grande mine de nickel au monde, 2025.
Reporterre, À cause des voitures électriques, un peuple indonésien risque l’extermination, 2024
The Gecko Project, Clean Cars, Poisoned Water: A Nickel Titan's Toxic Secret, 2025