L'état de l'État de droit - Elise Bernard

Les lanceur·ses d'alerte

Mélanie Poulain Les lanceur·ses d'alerte
Mélanie Poulain

À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.

L'État de droit c’est rendre possible des mécanismes permettant aux citoyen·nes de provoquer des changements dans la société, en manifestant, en publiant et en attaquant en justice mais qu’en est-il du cas particulier des lanceur·euses d’alerte ?

C’est vrai, que ceux qui posent des questions qui fâchent et mettent en lumière les irrégularités, qu’on appelle "lanceur·euses d’alerte", sont maintenant protégés par tout un mécanisme juridique.

C’est vrai qu’au moment de dénoncer des abus de personnes puissantes on risque de sérieuses représailles !

C’est cela, l’idée encore une fois c’est de faire valoir les droits fondamentaux sans crainte, comme avec le droit de manifester, de partager une opinion publiquement, par écrit, par un dessin. L’État de droit c’est être sûr de pouvoir être critique à l’égard de la société dans laquelle on vit.

Oui, surtout quand ces dénonciations ont pour objectif de garantir des produits plus sûrs, un environnement plus sain ou un gouvernement plus digne de confiance.

En effet, c’est bien le problème qui s’est posé avec l’affaire LuxLeaks, où comment ont pu être publiés des accords très avantageux conclus par des cabinets d'audit avec l'administration fiscale luxembourgeoise, au profit de multinationales.

Un·e lanceur·euse d’alerte c’est donc d’abord quelqu’un qui est sûr de ce qu’il dénonce.

Voilà ce qui s’est passé dans cette affaire : des salariés de ces cabinets ont transmis aux médias des dossiers de rescrits fiscaux. Et ces documents ont été utilisés dans deux émissions télévisées et reprises par des associations œuvrant pour la transparence dans les affaires.

Mais le lanceur d’alerte n’avait pas le droit de transmettre ces documents démontrant les avantages fiscaux obtenus par ses entreprises.

C’est bien là que se pose le problème, les cabinets d’audit ont poursuivi les salariés concernés devant la justice. A l'issue de la procédure, en 2018, les salariés sont condamnés parce que le juge national estime que l’employeur du lanceur d’alerte, le cabinet d’audit, a subi un préjudice disproportionné par rapport au but d'intérêt général poursuivi.

Donc ces salariés sont reconnus fautifs pour avoir transmis une information sur quelque chose dont on se doutait bien : des gouvernements reconnaissent des faveurs fiscales à des multinationales ?

En 2018, oui mais le 10 février dernier la Cour européenne des droits de l’Homme est venue préciser ce point. Parce que, dans ce scandale Luxleaks, les lanceurs d'alerte ont été punis mais les entreprises finalement non.

Evidemment il n’y avait rien d’illégal dans ces faveurs fiscales mais les lanceurs d’alerte ont pris le risque de perdre leur emploi !

Exactement ! et le juge de Strasbourg relève surtout que leurs employeurs ont juste profité d’une bonne publicité dans cette histoire : ces cabinets permettent aux entreprises d’obtenir des facilités fiscales ils n’ont pas du tout souffert de perte de clientèle, au contraire. Il est donc essentiel, au cas par cas, de mettre en balance le risque pris par le lanceur d’alerte et le dommage causé à celui qui est dénoncé. Si tant soit qu’il y ait dommage !

L'équipe

Entretien réalisé par Laurence Aubron.