Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’Etat de droit est attaqué en Roumanie, on en a parlé la semaine dernière mais on assiste encore à un rebondissement !
Oui Laurence, la situation qui nous inquiétait déjà, a inquiété encore plus que prévue puisqu’une déclassification de documents du renseignement national amène la cour constitutionnelle à annuler les résultats du 1e tour, emportant donc l’annulation du 2d tour de l’élection présidentielle au suffrage universel direct.
Ce second tour était prévu pour le 8 décembre et il devait opposer la candidate centriste Elena Lasconi à l’outsider pro-russe, Calin Georgescu?
Pour qui connaît un peu la Roumanie et son histoire, un candidat pro-russe qui remporte 22% des voix, c’est particulièrement étonnant. Après toute une série de plaintes et données du renseignement, la Cour constitutionnelle a décidé d’annulé ce premier tour, en raison de graves irrégularités, fraude électorale et de manipulation des résultats.
Georgescu arrivé au 2d tour, en 1e position avec 22% mais cette victoire est une fraude, donc.
Ce candidat est trop grossièrement en décalage pour que l’on ne soit pas méfiants, mais on constate quand même une montée de la droite radicale qui se confirme lors du scrutin législatif du 1er décembre.
Nationalisme roumain en hausse oui mais certainement pas pro-russe si je comprends bien.
Voilà où nous en sommes, dans un Etat européen au montage constitutionnel similaire au français. Les sociaux-démocrates sont arrivés en tête, après 10 ans de majorité de droite libérale, sans grande surprise. Toutefois, l’extrême-droite a triplé son score, sans parvenir à s’unir cependant, ce qui plonge le pays dans l’incertitude. Ce sont des votes récupérés - on en a déjà parlé - parmi les abstentionnistes.
Alors comme ailleurs en Europe, les partis centristes se reconfigurent en une alliance contre une opposition d'extrême-droite. On est vraiment sur le nouveau clivage structurant des scènes politiques nationales.
Oui et ce phénomène est européen et il s’ancre dans une atmosphère générale de défiance. L’insurrection populiste nourrit les droites radicales, partout dans l’Union européenne - sauf en Irlande. Ces droites radicales sont plus ou moins des porte-paroles du Kremlin, je ne rentre pas dans les détails. Mais en Roumanie, le thème dominant c’est justement le désenchantement avec une inflation extrêmement élevée et la crise de l'énergie.
La corruption est aussi une préoccupation de premier ordre en Roumanie.
Oui, je pense sincèrement que le ras-le-bol vient de l’insatisfaction de ce que ce peuple roumain a réussi à faire en renversant son autocrate. Mais essayons de voir les choses sous un angle positif : l’annulation du premier tour de la présidentielle est une bonne preuve de la résilience des institutions et de l’Etat de droit. Malheureusement, c’est un argument de plus dans la rhétorique populiste d’un “complot pour priver le peuple de sa souveraineté”. Nous vivons vraiment des temps dangereux.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.