À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit, c’est le droit pour chaque citoyen·ne européen·ne d’avoir accès à un tribunal indépendant et impartial pour défendre sa cause, c’est aisé à comprendre, mais à mettre en œuvre, ça paraît loin d’être simple !
Eh oui, encore un grand principe de l’État de droit européen sur lequel tout le monde s’entend, mais qui est difficile à définir. Il figure à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Ah oui, la CEDH, la Convention du Conseil de l’Europe adoptée en 1950, sur laquelle se prononce la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.
C’est bien cela. Nous avons 46 États membres à cette Convention. Donc les systèmes judiciaires des 46 États signataires doivent faire la preuve de l’indépendance de leurs tribunaux. Plus précisément : il est de la responsabilité de chaque État de créer des conditions d’indépendance de la justice. C’est une garantie indispensable d’un procès équitable. N’importe quelle loi nationale ne peut être efficace que si les juges sont indépendant·es et impartiaux. J’ajouterai compétent·es et efficaces.
Oui mais on sait bien que, en pratique, des influences indues dans les enquêtes n’ont pas disparu malgré l’existence de cet article 6 de la CEDH !
En effet, la plupart du temps, ces influences s’exercent à travers des pressions sur les juges, procureur·es et les enquêteur·ices ou à travers l’instruction des poursuites par le pouvoir exécutif, dans la sélection ou le transfert de juges, comme on a pu voir en Pologne, ou le défaut de poursuites pour des raisons politiques.
Mais alors, comment un·e requérant·e peut prouver qu’il ne dispose pas d’un tribunal impartial pour traiter son cas ?
C’est très difficile. En particulier lorsque celui·celle qui se plaint devant la Cour de Strasbourg est un accusé du régime de l’État signataire de la Convention. Cela me rappelle l’affaire portée en 2013, par Loulia Timochenko. À ce moment-là, elle dirige l’un des principaux partis d’opposition en Ukraine.
Oui c’était une ancienne Première ministre, après la Révolution orange. Voilà, en 2011, elle n’est plus PM, et se voit mise en examen à propos de contrats d’importation de gaz, elle est condamnée pour abus de pouvoir en 2012. I. Timochenko est en détention provisoire depuis plus d’un an et le juge national le justifie par le fait que la requérante faisait preuve de mépris. Toutes ses demandes de libération ultérieures, motivées pour des raisons de santé, sont refusées consécutivement à un comportement qui serait méprisant à l’égard du tribunal.
Ça ne me semble pas très légal comme argument »…
Eh non ! Franchement, je n’y étais pas, je ne sais pas comment elle se comportait, mais un tel argument ne témoigne pas vraiment de l’impartialité du tribunal. La Cour de Strasbourg décide alors de traiter cette requête en priorité au vu du caractère sensible de l’affaire. Timochenko avance qu’elle a été condamnée pour l’empêcher de se porter candidate aux élections de 2012. La Cour ne se prononce pas sur ce point, elle ne fait pas de politique. Cependant, elle exige un traitement médical adéquat pour l’accusée, car ces soins lui étaient refusés par le juge ukrainien du fait de son comportement méprisant. La première restriction à la liberté est acceptable parce qu’il y avait des raisons plausibles de soupçonner qu’elle avait commis une infraction, mais lui refuser des soins nécessaires pour d’obscures raisons d’ordre subjectif, c’est remettre en cause son droit fondamental à la sûreté.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.