L'état de l'État de droit - Elise Bernard

L'Union européenne peut-elle imposer son droit à des entreprises internationales ?

L'Union européenne peut-elle imposer son droit à des entreprises internationales ?

Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, Élise Bernard décrypte chaque semaine sur euradio les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.

L’Etatdedroit,c’estledroitapplicablepourtousmaisest-cequel’Unioneuropéennepeutimposerson droitàdepuissantesentreprisesétrangères?

On essaye ! C’est exactement ce à quoi on assiste avec Digital Services Act.

C’estcerèglementeuropéensurlesservicesnumériquesquiveutpousseràresponsabiliserles plateformesenligne?

Exactement, ce texte directement applicable dans les ordres juridiques, depuis le 25 août dernier, doit amener 19 entreprises à se conformer aux exigences européennes. La plupart d’entre elles sont américaines mais on compte un Chinois et un Allemand aux succès planétaires.

Pourquoi l’Europechoisitdeporteruneattentionparticulièreàces19services,spécifiquement?

Le législateur européen estime que les plateformes de services numériques qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs, par mois, en Europe, – ce qui représente plus de 10 % de la population européenne - doivent respecter des règles spécifiques. C’est particulièrement strict pour ces 19 là, d’autres entreprises rejoindront cette liste le 17 février 2024, avec des règles un peu moins strictes.

Est-cequ’ils’agitderèglesdécidéespourrestreindreleuractivitécommercialesurleterritoiredel’UE ?

Leurs lobbyistes vous diront probablement que oui... mais évidemment je préfère y voir une traduction de l’exigence de notre Etat de droit.

L’idée est commesouventdeprotégerle consommateureuropéen.

Oui, mais pas seulement. C’est vrai que le droit de l’Union est connue – et reconnue – pour protéger efficacement ses consommateur•rices. Ce qui est remarquable dans ce règlement européen, c’est que l’UE s’oppose frontalement à ce qui a fait la fortune de ces plateformes : les algorithmes.

L’algorithmec'estlensemblederèglesquipermettentdeclasserlescontenussuruneplateforme.

C’est cela, il permet de faire afficher les contenus et leur ordre d’apparition pour chaque utilisateur•rice, qui est un•e consommateur•rice. Sur la base de ces informations, le contenu s’affiche de manière à garantir un accès facile à ce qui les intéresse le plus. Or, ces informations, d’ordre privé, se vendent.

Toutcequisevendse vole!

C’est vrai, donc comme l’objectif n’est pas non plus de détruire leur modèle économique, l’Union exige de ces entreprises fassent en sortent que les utilisateurs comprennent le fonctionnement des algorithmes pour chaque publication suggérée mais aussi que soient proposées des recommandations sans algorithme. Les préférences de chacun doivent pouvoir restées privées.

Ah oui parce que les préférences de chacun, cela relève de la vie privée, droit fondamental européen !

Exactement ! Et la vie privée, chacun a le droit de garder privé ce qu’il souhaite à son sujet. Comme il peut rendre public, a priori, les éléments qu’il souhaite.