À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit c’est la liberté d’expression, on l’a vue sous plusieurs formes, mais c’est aussi la possibilité de la limiter cette liberté fondamentale quand elle dessert nos ambitions européennes.
Tout à fait, tout est question d’équilibre. Un droit fondamental ne prime pas à tout prix sur un autre. Tout est question de circonstances, et il est important de peser chaque droit en opposition, au regard des circonstances.
Oui c’est le fameux argument des polémistes et agitateur·ices des médias, au nom de la liberté d’expression, ils vont avancer des propos choquants voire encourageant la haine.
C’est exactement cela. On a pu en entendre parler en décembre dernier, quand Eric Zemmour, aussi anti-européen qu’il soit, forme un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme. J’avoue que cela aurait été cocasse que cette dernière lui donne raison mais elle a bien admis une limitation de la liberté d’expression à son encontre.
Que s’est-il passé en fait ?
Invité en 2016 sur la chaîne de télévision France 5, dans le cadre de la promotion de son livre, il a tenu des propos pour lesquels une association a pu se plaindre devant le tribunal correctionnel de Paris. Le juge confirme en 1re instance et en appel la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence dans les propos de celui qui veut vendre des livres et le condamne à 3 000 euros d’amende.
Ah oui donc dans ce cas, juge national – français – et juge européen sont d’accord : celui qui a tenu ces propos a outrepassé ce que permet la liberté d’expression, en Europe.
Voilà, pour le requérant, cette condamnation pour provocation à la discrimination et la haine religieuse, 3 000 euros d’amende donc, est contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg précise que ces propos ne se limitaient pas à une critique de l’islam ; compte tenu du contexte de l’époque, il y avait une intention discriminatoire de nature à appeler au rejet de la communauté musulmane. Le juge français a bien compris le sens de la limitation à la liberté d’expression.
Oui en fait on ne peut pas parler de censure dans ce cas.
Tout à fait, ses propos ont été tenus, on en a la trace, et pour cela il a dû payer une amende. Amende dont le montant n’est pas excessif, dit la Cour européenne des droits de l’Homme. D’ailleurs, le livre qu’il promeut au moment des propos incriminés est toujours en vente et personne ne l’a empêché de continuer d’exprimer ses opinions en tant qu’auteur puis, candidat aux élections de 2022. On peut dire que le juge, dans cette affaire cadre un peu la liberté d’expression car celle-ci doit servir un idéal de société pacifique et inclusive.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.