Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’État de droit est garanti en Europe par un ensemble de textes et de juridictions auxquels les États membres se réfèrent mais on dirait qu’ils empêchent les gouvernements de faire correctement leur travail.
Alors Laurence, à quelques jours de l’ouverture de sa présidence du Conseil de l’Union européenne pour les 6 prochains mois, le Danemark de la social-démocrate Mette Frederiksen donne le ton. L’ évolution de l’interprétation de la Cour européenne des Droits de l’Homme limiterait la capacité des gouvernements à prendre des décisions politiques en matière de migrations.
C’est ce qui apparaît dans cette lettre du 22 mai 2025, publiée le jour de la rencontre Italie Danemark.
Voilà ce que je comprends. La Cour de Strasbourg trop protectrice à l’égard des migrants empêcherait de prendre les décisions qui s’imposent et amoindrit la souveraineté de ces États.
Précisons que l’Italie et le Danemark sont rejoints dans cette démarche par 7 autres États : la Pologne, l’Autriche, la Belgique, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie et la République tchèque. D’où la Lettre des Neuf.
Ces 9 Etats membres de l’Union sont aussi membres du Conseil de l’Europe et ont ratifié la Convention européenne des droits de l’Homme, avant même l’entrée dans l’UE d’ailleurs. Selon ces représentants étatiques, cet instrument de protection des Droits de l’Homme que constitue la Convention européenne des Droits de l’Homme ne serait plus adapté aux défis contemporains.
Le Conseil de l’Europe a été créé à l’initiative du Royaume-Uni et les dispositions de la Convention de 1951 sont garanties par la Cour européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg. On est sur un espace plus large que l’Union européenne, mais à quoi sert cette juridiction?
Eh bien lorsqu’un justiciable estime ne pas avoir vu ses droits fondamentaux respectés par la justice nationale à laquelle il est soumis, après avoir épuisé toutes les voies de recours possibles au niveau national, il peut former un dernier recours à la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Cela signifie qu’à l’issue de cette dernière procédure, les juges de Strasbourg interprètent le cas d’espèce au regard des exigences de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Voilà. Ensuite, les juridictions des Etats membres du Conseil de l’Europe sont supposées faire respecter cette jurisprudence dans leurs affaires relevant de faits similaires mais ce n’est pas toujours le cas.
Mais alors, quel intérêt de dénoncer cette jurisprudence trop protectrice de la Cour européenne des Droits de l’Homme?
En droit, rien. La Cour européenne de Strasbourg ne dispose d’aucun pouvoir exécutoire.
Donc ce n’est pas comme la CJUE de Luxembourg qui peut ordonner des sanctions pécuniaires.
Voilà. Au Conseil de l’Europe, certains États membres, comme la Turquie pour ne citer que ce cas, se moquent bien des interprétations de la Cour de Strasbourg. Les juges nationaux peuvent se référer aux décisions de la Cour EDH, et quand ils le font en pratique, c’est toujours dans des cas d'espèce.
Dans les faits, jamais la Convention européenne des Droits de l’Homme ne conditionne l’élaboration des politiques nationales.
C’est ça. Encore un bel effet d’annonce de têtes d’exécutif pour donner l’impression que quelque chose est fait.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.