À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit est une notion ancienne en Europe, mais quelle est son origine et qu’est ce que cela impliquait à ce moment-là ?
Oui, c'est en Angleterre que l'on trouve les premières traces écrites de ce qu’on appelle aujourd’hui l'État de droit. La Magna Carta, signée en 1215, visait à contenir le pouvoir du Roi en le soumettant à la loi. Cette Magna Carta est très importante dans l'histoire juridique et politique de l'Angleterre. Elle a pour but de signifier que tout pouvoir doit être légitimé par la loi. Son article 39 par exemple, explique qu'"aucun homme libre ne sera emprisonné, disséqué, exilé (...) sauf par le jugement légitime de ses pairs ou par la loi du pays".
Mais l’expression Rule of Law n’apparaît pas en tant que telle.
Exactement, il n’y a aucune référence directe à l'État de droit, mais la Magna Carta contient clairement de deux dimensions importantes de l'État de droit : la primauté et l'efficacité de la loi. Il faut se remettre dans le contexte. Le conflit entre le Parlement et la monarchie rend nécessaire l’élaboration de procédures, des procédures qui amènent à la création de la règle de droit anglaise. Parlement et Roi s’obligent à respecter ces procédures. Cela ne s’est pas fait paisiblement, le temps du droit du droit public est toujours long. Et se contraindre à des procédures ne va pas de soi c’est pour cela qu’à ce moment-là on ne parle pas de « Rules », il n’est pas question de règles. Elles commencent à émerger.
On peut imaginer que le souverain n’a pas vraiment envie de voir son pouvoir réduit.
Tout à fait, après plusieurs abus, le Bill of Rights de 1689 fait du Roi l’obligé de la loi et précise que le Parlement constitue la principale source de droits. Droits devant être protégés par les tribunaux. Quand on lit John Locke, la Glorieuse Révolution anglaise et ses résultats font passer l'idée que les lois établies et connues du peuple doivent lier quiconque détient un pouvoir et être réellement appliquées. Alors ça, ce sont les explications doctrinales, mais vous savez bien que tout ceci s’est réalisé dans un contexte de violence.
C’est pour cela que l’on dit que les Lumières en France et la Révolution française qui suit est inspirée du système anglais.
Voilà, le « pouvoir qui arrête le pouvoir » théorisé par Montesquieu c’est à l’origine une étude du régime constitutionnel anglais. Dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, on trouve ce qui a été acquis en Angleterre les principes d'égalité devant la loi, de respect de la légalité, d'équité et de séparation des pouvoirs. Enfin, le·la juge et l'administration doivent respecter la loi, résultat procédures préétablies et écrites. C’est ça la Révolution française en droit public.
Mais on ne parle toujours pas d’État de droit ?
Non c’est vrai que le terme est apparu plus tard. Au XIXe siècle pour être précise. En France, il s’agit d’une traduction directe du Rechtsstaat allemand mais conceptuellement, à l’époque, elle s’en distingue parce qu’elle concerne à la fois les citoyen·nes, l’État, l’administration et la justice.
Au fur et à mesure, ces conceptualisations finissent par se rejoindre pour arriver à la notion d’État de droit européen.
Certains vous diront que non mais je fais partie de ceux qui pensent que si. En 200 ans, nous sommes clairement passés d'une conception de l'État de droit « à règles » à une conception de l’État de droit « à droits fondamentaux ». Il fournit aux citoyen·nes des instruments concrets pour contraindre la puissance publique à agir dans les limites fixées par la loi. En Europe, ce que nous avons en commun, c’est une pluralité d’ordre juridiques qui s’entrecroisent pour débats toujours plus passionnants et protecteurs du·de la citoyen·ne.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.